Puits de carbone : Quels sont-ils ? Comment fonctionnent ils ?

7 septembre 2023

par
Luc

Forêt de résineux dans une région montagneuse

Introduction

Selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE), 52,8 milliards de tonnes de CO2 équivalent ont été émises dans l'atmosphère en 2021. Toutefois, seule une partie de ces gaz à effet de serre est absorbée par l'atmosphère et renforce l'effet de serre. Pour rappel, l'augmentation de l'effet de serre perturbe le bilan énergétique de la Terre et est la cause principale du réchauffement climatique depuis le début de la révolution industrielle vers 1850. Pour revenir aux émissions de dioxyde de carbone (CO2), une partie ne reste pas dans l'atmosphère et est absorbée par ce qu'on appelle les puits de carbone (aussi appelés puits de CO2 ou puits de gaz carbonique). La NASA, estime que 55% des émissions de carbone anthropiques annuelles sont absorbées par ces puits de carbone dont plus de la moitié par l'océan (un puits non "pilotable" par l'homme)

Par conséquent, préserver et développer ces puits de carbone fait partie des leviers clés pour l'atteinte de la neutralité carbone planétaire. Dans sa Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), le gouvernement français s'est donné pour objectif d'augmenter les absorptions de CO2 par les puits de carbone sur le territoire français de 14 millions de tonnes de CO2 par an en 2020 à 40 millions de tonnes de CO2 en 2030, et environ 80 MtCO2 en 2050. Combinée à une réduction des émissions de gaz à effet de serre par 5 (vs. 2020), cette objectif doit permettre à la France d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

1. Qu'est-ce qu'un puits de carbone ? Quels sont les différents puits existants ?

Un puits de carbone est un réservoir (naturel ou technologique) qui peut absorber du carbone et le séquestrer durablement. Il y a donc une double notion de flux (absorption) et de stock (conservation durable dans le réservoir). On peut segmenter les puits de carbone selon plusieurs approches.

Puits naturels vs. puits technologiques

Les puits naturels sont des solutions basées sur la nature. Il existe 3 catégories de puits de carbone naturels :

  • Carbone vert : cela correspond aux puits de carbone des systèmes forestiers : forêts primaires, reboisement, gestion durable des forêts, agroforesterie, haies bocagères, etc. Ces puits stockent du carbone grâce à la photosynthèse ;
  • Carbone bleu : cela fait référence aux puits de carbone des océans, des zones humides et des écosystèmes associés (mangroves, marais, herbiers, prairies marines). Les océans captent et stockent du carbone atmosphérique grâce à deux processus biologiques. Le premier a lieu grâce à la solubilité du CO2. Le CO2 atmosphérique se dissout naturellement dans l'océan et l'eau froide, plus dense, emporte avec elle le CO2 dissous au fond de l'océan. Le deuxième processus s’appuie sur la photosynthèse réalisée par le phytoplancton. Ces algues microscopiques absorbent le CO2 de l’atmosphère puis le transforment en matière organique et en dioxygène (O2) grâce à la lumière du soleil. Il est important de noter que l'absorption de CO2 par les océans conduit à l'acidification de ceux-ci avec un impact négatif sur la biodiversité marine ;
  • Carbone brun : moins connu du grand public, le carbone brun regroupe les puits de carbone des sols et des systèmes agricoles : terres agricoles en agriculture régénératrice, gestion des prairies, agroforesterie. Comme pour les puits de carbone vert, c'est la photosynthèse des plantes qui permet de stocker le carbone dans les sols ;
  • Une précision, l'agroforesterie comme son nom l'indique est au croisement entre système forestier et agricole en stockant du carbone dans les arbres et les sols. C'est pour cette raison que nous la classons à la fois dans la catégorie carbone vert et le carbone brun ;

Ces puits de carbone naturels sont des solutions basées sur la nature, elles existent déjà à grande échelle, elles sont les mieux maîtrisées.

Les puits technologiques sont des puits de carbone qui reposent sur une technologie inventée par l'homme. Il en existe 3 actuellement :

  • BECCS ("Bio Energy with Carbon Capture and Storage") : cela consiste à collecter de la biomasse tel que du bois ou des résidus de l'industrie forestière ou agricole, puis de les brûler dans une usine pour produire de l'énergie (la partie "Bio-Energie") et de capter le CO2 émis par la combustion afin de le stocker durablement en profondeur dans des formations géologiques (la partie "Capture de Carbone et Stockage"). Le carbone généré et stocké, provenant à l'origine des écosystèmes et de la photosynthèse, est bien considéré comme étant retiré de l'atmosphère ;
  • DAC ("Direct Air Capture") : Le concept de la capture directe du carbone est d'absorber directement des molécules de CO2 issues de l'atmosphère avec de "gros ventilateurs" alimentés par de l'énergie décarbonée puis de le séquestrer durablement dans le sol ;
  • Altération forcée ("Enhanced Weathering" en anglais) : Cette méthode de géo-ingénierie consiste à accélérer l'altération naturelle de roches silicatées en les réduisant en poudre pour les épandre sur le sol. Elles réagissent avec le CO2 de l'atmosphère et l'eau pour produire de nouveaux minéraux. Le CO2 atmosphérique est alors converti durablement en bicarbonate (HCO3-), un ion qui se dissout dans l'eau ;

Ces différentes solutions sont encore peu développées à date et leur potentiel réel reste incertain.

Puits anthropiques vs. non-anthropiques

Les mêmes puits de carbone listés ci-dessus peuvent être catégorisés d'une autre manière :

  • Puits anthropiques : Les puits de carbone gérés par les humains (c'est à dire l'ensemble des puits technologiques et la majorité des puits naturels à l'exception des forêts primaires et des océans) ;
  • Puits non-anthropiques (non "pilotables" par l'Homme) : Les océans et les forêts primaires non gérées par l'Homme. Cela signifie que ces puits non-anthropiques ne rentrent pas dans l'équation de l'atteinte de la neutralité carbone car l'homme n'a aucun impact dessus

Une proposition de catégorisation des puits de carbone
Catégorisation des puits de carbone - Source : Carbone 4

La Capture de Carbone et le Stockage (CCS) n'est pas un puits de carbone

La technologie de Capture de Carbone et de Stockage (CCS) qui consiste à absorber les rejets de CO2 issues des usines de production de diverses industries (sidérurgie, cimenterie, chimie etc..) n'est pas un puits de carbone technologique. C'est une technologie d'évitement d'émission. En effet, le carbone n'est pas prélevé de l'atmosphère, mais est d'origine fossile (combustions d'énergie fossiles telles que du gaz naturel ou du charbon).

Les puits matière, une autre opportunité pour la séquestration du carbone mais pas de consensus à date

Les puits matière apparaissent comme une autre opportunité pour la séquestration du carbone. Dans ce cas, le carbone n'est pas séquestré dans les écosystèmes mais des produits fabriqués par l'Homme.

Ainsi, les "produits bois" représentent un potentiel additionnel de séquestration du carbone mais cela implique que leur durée de vie soit suffisante. Par exemple, du carton ou des palettes qui sont des produits bois avec une durée de vie de quelques années au maximum ne peuvent pas être considérés comme des puits de carbone.

L'autre avantage de ces produits bois est qu'ils permettent de recréer du potentiel d'absorption dans les forêts. Toutefois, à date il n’existe pas encore de consensus sur la bonne façon de comptabiliser ces puits matière, et de prendre en compte leur durée de vie (i.e. faut-il parler d'un stockage en décennie ou en siècle ?).

2. L'enjeu de permanence pour les puits de carbone et de la bonne gestion de ces réservoirs de carbone

Comme nous venons de le voir les puits de carbone ont la capacité de capter du CO2 de l’atmosphère et de le stocker. Mais il faut bien comprendre que ces puits de carbone sont des réservoirs qui peuvent réémettre le carbone qu’ils contiennent s’ils sont mal gérés.

Voici quelques exemple de réémissions de carbone selon la typologie des puits :

  • Systèmes forestiers : déforestation, arrachage de haies, feux de forêts, parasites augmentant la mortalité des arbres (comme par exemple la crise scolytes en France causant d'importants dégâts sur les forêts)
  • Mangroves : destruction ou exploitation de ces écosystèmes
  • Sols agricoles : retournement des prairies, labour intensif
  • Stockage technologique (DAC, BECCS) : fuite de l'infrastructure de stockage

Par conséquent toute initiative de séquestration de carbone doit prendre en compte l'enjeu de la permanence du stockage du carbone.

3. Comment développer ces puits de carbone pour lutter contre le changement climatique ?

Faire la distinction entre stock de carbone et flux de carbone

L'enjeu de la permanence du carbone dans les puits de carbone nous a permis d'introduire la notion de stock de carbone. Comme indiqué plus haut, cette notion est à différencier de celle de flux de carbone.

En France les forêts constituent un stock de carbone majeur, c'est à dire qu'une quantité très importante de carbone est stockée dans le bois des arbres (agit comme un réservoir). Ces forêts représentent aussi un potentiel d'absorption (flux). Celui-ci n'est effectif que lorsque que la forêt est en croissance, ainsi une forêt mature telle qu'une forêt primaire n'absorbe pas de carbone car elle a atteint son niveau d'équilibre.

Au sein d'un même type d'écosystème tel que l'écosystème forestier, il existe une importante variabilité du flux d'absorption. Pour donner un ordre de grandeur une forêt en croissance absorbe entre 6 tCO2/ha/an pour une forêt tempérée vs. près de 9 tCO2/ha/an pour les forêts pluviales tropicales. Tandis qu'une jeune mangrove peut absorber entre 20 et 25tCO2/ha/an.

La lutte contre la déforestation correspond à un évitement d'émissions et non pas à une séquestration de carbone

La conservation des forêts ou lutte contre la déforestation est un enjeu crucial pour le climat. D’autant plus que le changement climatique apporte des risques supplémentaires sur les forêts (incendies, tempêtes, maladies). Toutefois, la conservation correspond à un évitement d’émissions (le Pilier B de la matrice Net Zero Initiative) et non à de la séquestration carbone. Il s'agit d'empêcher le déstockage d'un puits de carbone, mais cela ne retire pas de carbone de l'atmosphère.

Des initiatives diverses par type de puits de carbone

Différentes initiatives sont possibles pour séquestrer du carbone dans chaque catégorie de puits de carbone. Nous listons quelques exemples ci-dessous :

  • Carbone vert : développement de l'agroforesterie, plantation de haies et pour les écosystèmes forestiers - projet de reforestation d'afforestation ou gestion forestière améliorée (balivage) :
  • Carbone bleu : restauration des mangroves avec la plantation de palétuviers ;
  • Carbone brun : séquestration de carbone dans les sols agricoles (mise en place de techniques d'agriculture régénératrice ou de conservation permettant d'apporter de la matière organique - cf. notre article sur ce sujet, gestion améliorée des prairies ou agroforesterie) et séquestration dans les sols non agricoles (restauration des tourbières ou de prairies naturelles)
Un couvert végétal multi-espèces sur une parcelle agricole
Couvert végétal sur une parcelle agricole - un des leviers de l'agriculture régénératrice


4. Les puits de carbone technologiques (DAC, BECCS) - solution miracle ou mirage ?

Les technologies derrière ces puits de carbone sont encore à l'état expérimental. De plus, de nombreuses voix s'élèvent dans la communauté scientifique mettant en doute leur capacité à passer à l'échelle ainsi que leur réel impact climatique. 

Tour d'horizon

A date, dans le monde on recensait 5 installations de BECCS en 2019 (pour 1,5 MtCO2 stockées) et 22 installations sur le DAC en 2022 pour moins de 100 000 tCO2 séquestrées. Le battage médiatique autour du DAC est très important ces 24 derniers mois, alimenté par les maxis levées de fonds comme celle de 600 millions de $ réalisées par Climeworks, le leader du secteur, en 2022. Cet acteur vient d'ailleurs d'obtenir 1,2 milliard de subventions publiques directes pour son projet d'usine de séquestration de carbone aux Etats-Unis.

Si certains investisseurs de la Silicon Valley considèrent ces technologies, notamment le DAC, comme un miracle permettant de lutter efficacement contre le changement climatique, les scientifiques se montrent plus critiques, certains parlant même de mirage et ce pour 4 raisons :

  • Le coût par tonne de carbone séquestrée : en moyenne 400-500€/tCO2 séquestrée pour le DAC à comparer aux 10-100€/tCO2 séquestrée pour les puits de carbone naturels (cela variant selon les zone géographiques et la typologie de projet) ;
  • Une consommation énergétique forte : étant donné la faible concentration du CO2 dans l'air (0,04%), les ventilateurs utilisés dans la technologie DAC doivent absorber une grande quantité d'air pour capturer le carbone atmosphérique dans leur filtre. Le fonctionnement de ces "ventilateurs" est donc très consommateur d’électricité. Celle-ci doit être décarbonée sinon la quantité de CO2 émise pour la production d’électricité est plus importante que celle capturée par le système DAC. La 1ère usine de Climeworks est située en Islande où la géothermie est surabondante et permet de produire de l'électricité verte - cela n'est donc pas transposable partout et remet en cause le passage à l'échelle de cette technologie ;
  • Des doutes sur la permanence du stockage du carbone dans les poches géologiques : une fois capté, le carbone est séquestré en profondeur dans des formations géologiques. En général il s'agit d'anciennes poches qui contenaient du pétrole ou du méthane. Or, la communauté scientifique a récemment constaté que les poches dans ces exploitations pétrolières et gazières à travers le monde fuient abondamment, laissant présager que nous ne savons pas vraiment gérer le sous-sol ;
  • Stocker du carbone pour extraire plus de pétrole : enfin, et c'est un peu l'ironie de l'histoire, la moitié du CO2 qui est actuellement capturé puis stocké en profondeur sert à faire ce qu'on appelle en anglais de "l'Enhanced Oil Recovery" (EOR). Cette technique est utilisée par l'industrie pétrolière et consiste à injecter du CO2 à haute pression dans des puits de pétrole en fin d'exploitation afin d'extraire 20 à 30% de pétrole en plus que dans un puits de pétrole similaire où l'on n'injecte pas de CO2... ;

5. Les sols agricoles, le plus gros potentiel de développement des puits de carbone en France

En France, le plan de développement des puits de carbone défini dans la SNBC repose notamment sur l'augmentation des quantités de carbone captées par les sols agricoles et les prairies (19 MtCO2eq./ an)

Celui-ci se base sur l'étude de l'INRAE publiée en 2019, intitulée "Initiative 4 pour 1000". D'après cette étude, près de 90% du potentiel de stockage additionnel de carbone dans les sols agricoles provient des Grandes Cultures (cultures céréalières, oléagineuses, protéagineuses, pommes de terres, betteraves, lin..). Cela sera rendu possible par l'essaimage de pratiques agricoles dites régénératrices au sein de 110 000 exploitations en Grandes Cultures en France métropolitaine. Parmi ces pratiques on peut citer :

  • Le développement des couverts végétaux en intercultures courtes et longues ;
  • La restitution des résidus des cultures ;
  • L'apport d'engrais organiques ;
  • La plantation de haies en bordures des parcelles ;
  • L'insertion de prairies temporaires dans la rotation culturale ;

Cependant, ces changements de pratiques agricoles constituent un coût à court terme pour les agriculteurs ce qui ralentit leur adoption et ce malgré les bénéfices à long terme pour le climat et la fertilité des sols. Chez ReSoil, nous avons estimé ce "coût de la transition" entre 60 et 140€/ha/an, avec des variations en fonction du nombre de leviers mis en place.

Afin d'accélérer le rythme des changements de pratiques agricoles pour une transition vers une agriculture durable, ReSoil accompagne les agriculteurs sur le plan agronomique mais aussi financier. Nous leur permettons d'être rémunéré pour le carbone stocké dans les sols de leur exploitation et les services écosystémiques liés (aussi appelés co-bénéfices environnementaux d'un projet) via la vente de crédits carbone certifiés par le Label bas-carbone à :

  1. des entreprises de tous secteurs désireuses de financer des projets de séquestration carbone locaux et fiables dans le cadre leur stratégie climat. C'est ce qu'on appelle la contribution carbone ;
  2. des entreprises du secteur agroalimentaire désireuses de réduire leur empreinte carbone en finançant la transition bas-carbone de leurs propres fournisseurs de matières agricoles (les agriculteurs). C'est ce que l'on appelle le scope 3 - amont agricole. Ce poste d'émissions représente entre 60 et 80% de l'empreinte carbone totale de ces entreprises. Via l'achat de ces crédits carbone celle-ci peuvent comptabiliser les réductions d'émissions de leur scope 3 leur permettant d'atteindre leurs objectifs climatiques fixés avec Net Zero Initiative ou l'initiative SBTi (cible SBTi-FLAG notamment) ;

Entreprises ou collectivités, pour en savoir plus sur notre action et découvrir nos projets agricoles déjà labellisés : consultez notre offre, découvrez les projets de nos agriculteurs partenaires ou contactez-nous.