12 septembre 2025
« On s’adaptera ». C’est souvent la réponse qui vient lorsqu’on évoque les vagues de chaleur et leurs conséquences. Grâce à la technologie, aux variétés résistantes, à la climatisation, à la réorganisation du travail, nous trouverons des solutions. Et c’est vrai : l’agriculture, comme les villes, peut s’adapter en partie.
Mais réduire la question des canicules au seul confort humain serait incomplet. Comme le rappelle l’agroclimatologue Serge Zaka, si nos systèmes agricoles et nos infrastructures peuvent évoluer, nos écosystèmes vivants n’ont pas cette capacité d’adaptation rapide. Les arbres, les rivières, les sols, les insectes, les oiseaux : ils subissent, sans possibilité de compenser.
Et surtout, il ne faut pas tomber dans un autre travers : considérer l’agriculture comme une cause extérieure à laquelle on apporterait son soutien par solidarité, un peu comme une action humanitaire. L’agriculture n’est pas un secteur optionnel, ce n’est pas « soutenir une marque locale » ou « donner un coup de pouce à une filière ». C’est la base de notre survie collective. Sans énergie, nous revenons au Moyen-Âge. Sans alimentation, nous ne vivons pas du tout.
La chaleur perturbe directement le cycle des cultures.
- Céréales : lors de la canicule de 2003, les rendements européens ont chuté de 20 à 30 %. En effet, la température optimale pour le bon développement du blé tendre se trouve entre 21 et 24°C, au-delà cela perturbe le remplissage du grain.
- Maïs : particulièrement vulnérable au stress hydrique au moment de la floraison, il peut perdre jusqu’à 50 % de rendement. Lorsque la température dépasse les 36°C, la photosynthèse est perturbée, ce qui endommage la bonne croissance de la plante ; la quantité et la qualité du pollen se retrouvent également affectées, ce qui pénalise la phase de pollinisation et donc la fécondation des ovules ainsi que la formation de grains.
- Fruits et légumes : coups de soleil sur tomates, pommes ou poires. Les pertes peuvent atteindre 20 % de la production.
- Viticulture : +2 °C avanceraient les vendanges de 15 à 20 jours, modifiant l’équilibre aromatique.
- Chaque hausse de 1 °C réduit la durée de croissance du blé tendre de 6 à 7 jours et son rendement de 6%.
- Les prairies cessent de pousser dès un déficit hydrique de 150 mm, phénomène désormais courant en Normandie.
- Une baisse de 1 % de matière organique correspond à une perte de 3 à 4 mm de rétention d’eau.
- L’ IDELE annonce qu’une vache laitière perd entre 2 et 4kg de lait par jour lorsque la température passe de 26°C à 33°C.
- En 2019, certaines exploitations ont constaté des baisses de production de 15 % en une semaine.
- Dans les élevages avicoles, la mortalité augmente de 5 à 10 % lors de canicules prolongées.
Le PNACC 2023-2027 prévoit :
- réorganisation des horaires (moisson de nuit, traite tôt le matin),
- limitation du travail aux heures les plus chaudes,
- accès systématique à l’eau.
En 2022, les images satellites montraient des prairies grillées visibles depuis l’espace. Dans le sud, des chênes pubescents ont perdu jusqu’à 80 % de leur feuillage dès juillet. Serge Zaka résume : « c’est l’automne en plein été ».
Ces phénomènes fragilisent :
- Forêts : affaiblies, elles stockent moins de carbone et deviennent plus vulnérables.
- Zones humides : déjà réduites de moitié en un siècle, elles ne jouent plus leur rôle de tampon.
- Pollinisateurs : abeilles et insectes souffrent des températures extrêmes, perturbant la pollinisation.
Contrairement à l’homme, les écosystèmes n’ont pas de technologie pour compenser.
- Le sorgho, plus résistant à la sécheresse que le maïs, a doublé ses surfaces en France entre 2015 et 2022. Sa température optimale est de 35°C, soit +4°C comparé au maïs. Néanmoins au delà de 35°C sa pollinisation commence à être perturbée, tout comme le maïs.
- Des blés précoces permettent d’éviter les pics de chaleur en fin de cycle.
- Des cépages méridionaux sont testés plus au nord.
- Couverts multi-espèces : possibilité de monter de +20 % de matière organique en 10 ans.
- Technique culturale simplifié (TCS) : limite les risques de croûte de battance, améliore l’infiltration de l’eau en profondeur, favorise la réduction des volumes de ruissellements jusqu’à 90 %.
- Compost : meilleure rétention, réduction de l’érosion.
- Une haie développée de 100 m réduit de 2 à 3 °C la température ressentie sur la parcelle voisine.
- Ventilateurs et brumisateurs réduisent de 30 % le stress thermique.
- Sélection de races rustiques comme la Salers ou l’Aubrac.
Oui, nous aurons des variétés résistantes, des bâtiments ventilés, des horaires adaptés. Oui, nos villes auront des arbres, des bus climatisés et des bouteilles d’eau en rayon.
Mais les arbres, eux, ne peuvent pas « mettre la clim ». Les rivières asséchées ne peuvent pas « pomper » par elles-mêmes. Les abeilles ne trouveront pas de substitut technologique.
Les vagues de chaleur ne signifient pas seulement des pertes agricoles ou des journées plus pénibles. Elles bouleversent le vivant, qui est la base de l’agriculture.
En tant que fils d’agriculteur qui reprendra la ferme dans quelques années, j’entends souvent : « on est avec vous les agris », « vous avez un métier difficile ». Cette solidarité est précieuse, mais elle traduit parfois une vision déformée : comme si soutenir l’agriculture relevait de la bonne action, au même titre que soutenir une cause caritative.
C’est oublier l’essentiel : l’agriculture n’est pas une cause extérieure, c’est une nécessité vitale. Nous pouvons vivre sans gadgets électroniques. Sans énergie, nous revenons au Moyen-Âge. Mais sans nourriture, nous ne vivons pas du tout.
Le confort moderne nous a déconnecté de cette évidence. Nous mangeons trois fois par jour sans nous demander ce que nous mettons dans notre corps. Mais c’est bien ce geste quotidien – s’alimenter – qui nous relie directement à l’agriculture.
Et souvenons-nous : pendant le confinement de 2020, chacun a eu un aperçu de ce que cela signifie. Lorsque les frontières se sont fermées, lorsque les rayons se vidaient et que remplir son frigo devenait une inquiétude, la question de l’approvisionnement local a pris une importance immédiate. C’était un avant-goût de ce que pourrait être une fragilité alimentaire durable.
Cette période, où tout était épuré, nous a rappelé ce qui est vraiment essentiel : se nourrir, boire, respirer. L’agriculture locale et la production alimentaire ne doivent pas être des sujets auxquels on ne s’intéresse qu’en temps de crise. Elles doivent rester au cœur de nos priorités collectives, en permanence.
Regardons aussi les pays proches de l’équateur, déjà durement touchés par le dérèglement climatique : sécheresses prolongées, insécurité alimentaire, instabilités sociales. C’est un avant-goût de ce qui nous attend si nous ne plaçons pas la souveraineté agricole au centre de nos priorités.
La souveraineté alimentaire n’est pas une cause du dimanche soir. Elle est la condition de notre survie collective.
- La sécheresse de 2022 a coûté près de 6 milliards d’euros en France.
- En France en 2022, le maïs a perdu 25 % de rendement par rapport à la moyenne 2017-2021.
- En 2022, la sécheresse a provoqué un effondrement des rendements fourragers, entraînant une flambée immédiate des prix. En Occitanie, le coût du foin a doublé, mettant à rude épreuve la trésorerie des éleveurs, contraints de nourrir leurs animaux coûte que coûte.
Ces chocs fragilisent les exploitations, mais aussi la sécurité alimentaire nationale.
Les vagues de chaleur réduisent les rendements, fragilisent les sols, affectent les élevages et bouleversent les écosystèmes. L’adaptation est déjà en marche grâce à l’agroécologie, à l’agriculture régénératrice et à la coopération territoriale.
Mais deux messages sont essentiels :
1) L’adaptation humaine ne sauvera pas tout le vivant. Nos écosystèmes ne peuvent pas compenser.
2) L’agriculture n’est pas une cause annexe. C’est un besoin vital, au cœur de notre souveraineté et de notre santé.
Préparer l’agriculture française aux étés de demain, c’est agir dès aujourd’hui : soutenir les transitions agricoles, investir dans les solutions locales, réduire nos émissions.
Parce qu’au bout du compte, sans énergie, nous reculons dans le temps. Mais sans nourriture, nous n’avons pas d’avenir.