SBTi Net Zero standard 2.0 : quels changements et quelle valorisation pour les crédits carbone ?

18 avril 2025

- par
Alan

Trois ans après son lancement en 2021, la démarche « Net-Zero » du Science Based Targets initiative (SBTi) s’apprête à franchir une nouvelle étape. Le standard ressort d'une polémique essuyée en 2024 suite à son annonce d'intégrer les crédits carbones dans la réduction du scope 3, provoquant la levée de bouclier de la société civile et de plusieurs ONG (et de ReSoil !) qui redoutaient la réduction artificielle des bilans carbone des entreprises. Dans ce contexte brûlant, le tant attendu Corporate Net-Zero Standard 2.0 a finalement été inauguré à la mi-mars par son tout nouveau président David Kennedy. 

Si les ambitions climatiques restent inchangées — neutralité carbone à l’horizon 2050 et alignement sur un réchauffement maximal de 1,5 °C —, le projet se distingue par une approche sous le signe du pragmatisme et de l’action. Les crédits carbone sont bien présents, mais dans une comptabilité distincte des objectifs de réduction de l'empreinte carbone, et sont ainsi désormais valorisés comme de réels leviers d'action pour le climat. Cette démarche qui suit enfin les recommandations scientifiques et se rapproche de la Net Zero Initative de Carbone 4 et de l'Ademe. 

Ce nouveau draft, actuellement soumis à consultation publique jusqu’en juin 2025 (à laquelle vous pouvez participer), marque un tournant stratégique pour l’organisation.

Dans cet article, nous revenons sur les principaux changements proposés dans cette version actualisée.

Rappel : qu’est-ce que la SBTi ?

La Science Based Targets initiative (SBTi) est un organisme de référence qui vise à aligner les trajectoires de réduction des émissions des entreprises avec un objectif de 1.5°, basé sur faits et donnes scientifiques. Pour cela, elle fournit un cadre méthodologique rigoureux permettant aux entreprises de définir, faire valider et suivre des objectifs de décarbonation. La SBTi agit donc comme un tiers de confiance et un outil structurant pour les stratégies climatiques d’entreprise.

Action et pragmatisme : Les 4 grands changements de principe

Le nouveau standard intègre de nombreux nouveaux changements pratiques, séparés en 6 chapitres. Quatre changements conceptuels s'en démarquent.

Une nouvelle catégorisation des entreprises

Parmi les évolutions majeures du Draft 2.0, une nouvelle catégorisation des entreprises permettant de fournir des exigences adaptées à la taille et le contexte économique de celles-ci. Ainsi, 2 catégories sont introduites :

  • Catégorie A : grandes et moyennes entreprises opérant dans des zones à hauts revenus. Elles devront satisfaire à l’ensemble des critères définis par le standard.
  • Catégorie B : Des petites et moyennes entreprises ou encore des entreprises situées dans des régions à faibles revenus. Elles bénéficieront d’une plus grande souplesse, avec certains critères rendus facultatifs.

Les entreprises de catégorie A devront désormais obligatoirement fixer un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 et rendre public un plan de transition climatique après validation de leurs objectifs par le SBTi.

Cette catégorisation vise à embarquer un maximum d’acteurs dans la démarche et ainsi favoriser une plus large mobilisation en faveur du climat, tout en tenant compte des différences de taille, de ressources et de contexte opérationnel.

Catégorisation des entreprises selon leurs caractéristiques. Source : 2.0 Draft SBTi

Un Nouveau modèle de validation cyclique

Jusqu’à présent, la norme en vigueur (version 1.2) imposait aux entreprises de rendre des comptes vis-à-vis de leurs émissions, mais ne fournissait pas de lignes directrices pour évaluer les progrès réalisés pendant le processus. Tant que l’année butoir n'était pas atteinte, il était difficile d’évaluer les effort et progrès réalisés par l’entreprise, ce qui peut favoriser l’inaction. Le Draft 2.0 vise à corriger cette limite en intégrant une nouvelle mécanique : l’approche cyclique.

Contrairement au modèle linéaire de la version précédente — où l’entreprise fixait une année de référence (ex. 2023) et une année cible (ex. 2030 ou 2050), sans exigences intermédiaires —, la nouvelle approche segmente le parcours de décarbonation en cycles de cinq ans. Ce découpage permet une évaluation plus régulière des performances (surperformance ou sous-performance), et un calibrage des prochains cycles selon les difficultés rencontrées, tout en gardant le même objectif final. Les entreprises seront tenues de mesurer et de communiquer leurs progrès pendant ces étapes, pour assurer la continuité et la crédibilité de leur engagement climatique.

Le nouveau modèle de validation cyclique. Source : 2.0 Draft SBTi

Redéfinition et division des scopes

La question de la définition et l'atténuation des scope est devenue un point de cristallisation central dans discussions autour de la décarbonation. Pour rappel, le Greenhouse Gas Protocol, référence mondiale en matière de comptabilité carbone, distingue trois catégories d’émissions :

  • Scope 1 : Émissions directes issues des activités détenues ou contrôlées par l’entreprise déclarante.
  • Scope 2 : Émissions indirectes liées à la production d’électricité, de chaleur, de vapeur ou de froid consommée par l’entreprise. 
  • Scope 3 : Émissions indirectes (autres que celles couvertes par le scope 2) qui se produisent dans la chaîne de valeur de l’entreprise, incluant les émissions en amont et en aval.

Suite aux retours mentionnant des difficultés d’adresser certains scopes, le SBTi a annoncé 2 changements majeurs dans son webinaire de présentation.

Le premier ajustement majeur concerne la séparation des objectifs pour les scopes 1 et 2 qui, jusqu’ici, étaient regroupés sous un scope par souci de simplification. Cette approche pouvait effectivement mener à des inexactitudes ou des abus : l’achat de certificats d’énergie renouvelable (EACs) permettait de prétendre à des réductions conséquentes des émissions de ces 2 scopes sans efforts de réduction au sein même de l’entreprise. Le Scope2 est lui-même désormais séparé en 2 catégories distinctes. Cette évolution vise à rétablir la crédibilité des trajectoires de réduction en évitant des abus liés à des outils de compensation ou de substitution énergétique.

  • Un objectif basé sur les données de consommation réelle d’énergie du site (approche location-based).
  • Un objectif complémentaire basé sur le marché (market-based), prenant en compte les EACs et autres instruments similaires.

Le deuxième ajustement majeur concerne le Scope 3 que plusieurs entreprises désignent comme élément compliqué dans la fixation d’objectifs Net-Zero.

  • D’abord, l’obligation de fixer des objectifs de réduction pour le Scope 3 est maintenue pour les entreprises de catégorie A mais devient optionnelle pour les entreprises de catégorie B.
  • Ensuite, le cadre introduit une plus grande flexibilité dans la définition des objectifs Scope 3. Plutôt que de se limiter à une logique de volume global d’émissions, les nouvelles règles incitent les entreprises à fixer des objectifs en lien avec leur intensité d’activité et leur niveau d’influence sur leurs fournisseurs ou clients, notamment dans les secteurs à fortes émissions. Cela permet de concentrer l’action là où elle est la plus pertinente et la plus impactante.
  • Enfin, tout en réaffirmant la priorité donnée à la réduction directe des émissions traçables dans la chaîne de valeur, le SBTi ouvre la voie à des mesures indirectes lorsque la réduction directe est impossible à court terme. L’utilisation de certificats ou d'achats durables est autorisée, à condition qu’elle s’inscrive dans une logique temporaire, transparente et de progression vers une traçabilité complète. Les mesures concernant les émissions indirectes se différencient de la réduction au-delà de la chaîne de valeur (BVCM) car les émissions sont liées aux activités de la chaîne de valeur de l’entreprise.

Modifications concernant les Scopes 1, 2 et 3 et émissions hors chaîne de valeur. Source : 2.0 Draft SBTi.

Le nouveau rôle des BVCM

Le nouveau draft du SBTi précise le rôle des crédits carbone dans la stratégie Net-Zero des entreprises. La contribution volontaire via le BVCM sera reconnue, mais comptabilisée séparément des émissions directes (scopes 1, 2 et 3), afin de garantir l'intégrité des trajectoires de décarbonation. Un statut de « leader » pourra être attribué aux entreprises alliant ambition de réduction et engagement dans des projets de décarbonation ou séquestration de carbone.

Ci-dessous, nous faisons un focus sur le nouveau rôle des crédits carbone. 

Zoom sur les crédits carbone dans le draft 2.0

L’annonce en 2024, du SBTi estimant vouloir intégrer les crédits carbones dans son nouveau standard avait suscité la polémique. Plusieurs ONG et acteurs de la société civile, dont Carbon Market Watch, avaient dénoncé cette orientation, redoutant qu’elle permette aux entreprises de réduire artificiellement leur bilan carbone, notamment via le Scope 3.

Un an plus tard, le nouveau Draft publié pose le cadre du rôle des crédits carbone dans le nouveau Draft SBTi. La contribution volontaire via le BVCM sera bien reconnue dans le nouveau draft, mais sera séparée des Scope 1, 2 et 3. Le SBTi réaffirme que la réduction effective des émissions reste la priorité absolue, tout en reconnaissant que les crédits carbone peuvent jouer un rôle clé dans l’accélération du financement de la transition climatique.

Les crédits carbones pour développer la finance verte

Dans son nouveau Draft, le SBTi annonce que la réduction des émissions reste la priorité absolue et qu’elle ne peut être remplacée par des mesures de compensation. Toutefois, il ouvre la voie à de nouvelles incitations visant à mobiliser des financements en faveur de projets d’absorption du carbone, notamment par le biais des crédits carbone et des certificats d’attributs énergétiques (EAC). Le rapport souligne un déséquilibre majeur entre les engagements actuels en matière de financement climatique et les montants nécessaires pour atteindre l’objectif de 1,5 °C. Selon les estimations du SBTi, les besoins en financement devraient dépasser 8 400 milliards de dollars par an entre 2023 et 2030, puis atteindre 10 400 milliards par an dans les deux décennies suivantes — alors qu’ils ne s’élèvent aujourd’hui qu’à 1 200 milliards par an. Le SBTi reconnaît ainsi l’urgence d’adresser les émissions actuelles et le rôle critique que les entreprises peuvent jouer dans la mobilisation de capitaux via des outils comme les crédits carbone.

Une nouvelle caractérisation des émissions : résiduelles vs courantes

Le SBTi distingue désormais deux types d’émissions dans son nouveau draft.

D’un côté, les « émissions résiduelles » (residual emissions) sont « les émissions de GES restantes à l'année Net Zero une fois que l'entreprise a mis en œuvre toutes les mesures de réduction possibles dans l'ensemble de ses activités et de sa chaîne de valeur, et a atteint un niveau de performance compatible avec les trajectoires alignées Net Zero » .

D’autre part, le SBTi intègre la notion d’« émissions courantes » (ongoing emissions) qu’il définit comme les émissions que les entreprises continuent d’émettre pendant la transition, alors qu'elles mettent en œuvre les mesures pour parvenir au Net Zero.

Le statut de "Leader" pour les entreprises engagées

Dans son nouveau draft, le SBTi souligne que les émissions courantes représentent une part significative des impacts climatiques des entreprises. Il estime donc essentiel que ces émissions fassent l’objet d’une prise de responsabilité explicite.

Pour encourager cette dynamique, le SBTi propose d’introduire un statut de "Leader", destiné aux entreprises qui, en plus de leurs efforts de réduction (scopes 1, 2 et 3), soutiennent des projets de séquestration ou de réduction carbone via des crédits carbone ou des certificats d’attributs énergétiques (EACs). Ce changement marque une évolution majeure par rapport à la version précédente du standard, où les achats de crédits carbone relevaient uniquement d’une démarche volontaire, sans reconnaissance formelle.

Ce statut de « leader » permettra de mettre en avant les entreprises qui font des efforts particuliers, mais ne sera attribuable qu’à condition que les engagements concernant la réduction des émissions soient atteints ou proches d’être atteints. Les entreprises doivent par ailleurs prioriser des crédits carbone qui offrent des co-bénéfices importants en termes de durabilité, de biodiversité et de bien-être social.

Le cadre précis d’attribution de ce statut n’est pas encore totalement défini et fait actuellement l’objet d’une consultation publique. Parmi les points en discussion figurent notamment : la part des scopes concernés par cette contribution (1, 2 et/ou 3), le niveau d’atteinte des objectifs de réduction requis, et la manière d’évaluer la qualité des actions mises en œuvre.

Lancement officiel du nouveau draft SBTi. Source : Site web SBTi.

Conclusion :

Le nouveau Corporate Net-Zero Standard du SBTi marque une inflexion majeure dans la manière d’accompagner les entreprises vers la neutralité carbone. Cette nouvelle version introduit des outils plus flexibles, adaptés aux réalités opérationnelles et économiques des organisations. À travers une catégorisation différenciée des entreprises, un modèle de validation par cycles, une redéfinition des scopes, et une reconnaissance structurée des contributions climatiques via les crédits carbone, le SBTi cherche à conjuguer exigence climatique et action. Reste désormais à voir comment ce projet évoluera à l’issue de la consultation publique et dans quelle mesure il parviendra à rallier les entreprises, les ONG et les institutions.

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