La diversification culturale : Un pilier essentiel de l’agriculture régénérative

par
Hilaire

Champ de lin en fleur

Le XXème siècle a été marqué par une croissance démographique sans précédent, entraînant une demande alimentaire massive. En l’espace de 100 ans (1920-2020), la population mondiale a quadruplé, passant de 2 à 8 milliards. Le nombre d’exploitants agricoles en France n’a quant à lui fait que de décroitre, connaissant une baisse de près de 80% sur ces cinquante dernières années. Cette situation a exigé une transformation majeure de nos pratiques agricoles pour répondre à ces besoins croissants.

Dès les années 50, dans un contexte d’après-guerre et de prédictions de famine, de multiples solutions pour augmenter les rendements agricoles ont été proposées. Parmi elles, l’uniformisation des systèmes culturaux, l’augmentation de l’utilisation de pesticides et d’engrais minéraux de synthèses, ou encore la mécanisation. À l’époque, cela a été une grande réussite française en termes de souveraineté alimentaire.

Toutefois, ce modèle agricole a révélé ses faiblesses au fil des années, compromettant sa durabilité, notamment par l'appauvrissement des sols, les impacts négatifs sur la biodiversité, et les risques pour la santé humaine. C'est dans ce cadre que l'idée de l'agriculture régénérative a vu le jour, proposant un système agricole plus respectueux des ressources naturelles et humaines.

Cet article explore les défis et les opportunités de ce modèle par le prisme d’un de ses principes fondamentaux : la diversification des cultures agricoles.

I. Le principe de l’Agriculture Régénérative

a) Définition de l’Agriculture Régénérative

L'agriculture régénérative, comme son nom l’indique, se concentre sur la revitalisation des sols, tout en englobant la préservation d'autres éléments essentiels tels que l'air, l'eau et la biodiversité. Ce modèle se caractérise par des pratiques culturales qui :

  • contribuent à la régénération des sols agricoles et à leur fertilité via l’augmentation de leur teneur en matière organique et une meilleure structure de sol ;
  • favorisent la rétention de l’eau par les sols ainsi que la pureté et l’assainissement des eaux de ruissellement ;
  • préservent la biodiversité et développent la résilience des écosystèmes aux aléas climatiques ;
  • atténuent les effets du changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre liées aux pratiques agricoles et en transformant les sols agricoles en puits de carbone grâce à l’accumulation de carbone organique dans les sols, celui-ci étant initialement présent dans l’atmosphère.

b) Les 5 piliers de l’agriculture régénérative

L’agriculture régénérative repose sur 5 piliers clés :

Couverture maximale des sols

  • Structure : Maintien constant de la couverture des sols agricoles entre les récoltes, soit par des résidus de cultures soit par des cultures intermédiaires.
  • Rôle : Favorise l'augmentation de la biomasse et du stockage de carbone dans le sol, améliorant sa fertilité.

Diversification et allongement des rotations culturales

  • Structure : Alternance de différentes cultures sur une période prolongée pour éviter la monoculture.
  • Rôle : Réduit la pression des parasites, améliore la structure du sol et favorise un écosystème plus équilibré.

Réduction du travail du sol

  • Structure : Limitation du labour et des perturbations mécaniques, privilégiant le travail superficiel du sol ou le semis direct.
  • Rôle : Préserve la richesse organique du sol et sa structure, réduisant l'érosion et la dégradation.

Substitution des engrais synthétiques par des engrais naturels

  • Structure : Utilisation de compost, fumier et autres matières organiques en remplacement des engrais chimiques.
  • Rôle : Améliore la fertilité naturelle du sol et réduit les émissions de gaz à effet de serre liées aux engrais de synthèse.

Réintégration de l’élevage et de l’agroforesterie dans les grandes cultures

  • Structure : Association des arbres, des cultures et de l'élevage sur une même parcelle.
  • Rôle : Enrichit la biodiversité, améliore la fertilité du sol et renforce sa capacité de stockage de l'eau et du carbone.

Les 5 piliers de l’agriculture régénérative - Source : Gal culturalité
Les 5 piliers de l’agriculture régénérative - Source : Gal culturalité

II. La diversification des cultures : un pilier essentiel

a) Définition de la diversification des cultures :

La diversification des cultures, soit la rotation et la combinaison variée de cultures différentes dans le temps et l’espace, est essentielle pour briser le cycle des monocultures qui épuisent les sols.

La diversification des cultures peut se traduire par la mise en place de cinq grandes pratiques :

  • Mélanges variétaux : Culture de plusieurs variétés d'une même espèce (par exemple plusieurs variétés de blé tendre) dans une même parcelle.
  • Cultures associées : Pratique consistant à cultiver simultanément plusieurs espèces différentes dans un même champ. Cela peut se manifester sous forme de cultures en relais ou de cultures en bandes alternées dans une même parcelle.
  • Rotation des cultures : Succession planifiée et régulière de différentes cultures sur un même champ, suivant un cycle temporel défini.
  • Cultures de couverture : Utilisation de plantes pour des objectifs agronomiques et environnementaux, tels que la limitation des pertes en nitrates, sous forme de cultures intermédiaires ou de bordures autour des parcelles cultivées.
  • Agroforesterie : Intégration d'éléments ligneux, tels que des arbres et arbustes, dans les systèmes de culture et d'élevage. Des exemples incluent les cultures intercalées d'allées d'arbres, les parcelles agricoles bordées de haies, les parcs agroforestiers, et les cultures pérennes sous couvert forestier.

b) Les bénéfices environnementaux, économiques et sociaux

Ces différentes stratégies de diversification ont de nombreux co-bénéfices environnementaux. En effet, elles permettent une meilleure gestion des nutriments, réduisent les besoins en pesticides et engrais chimiques, et renforcent la résilience des cultures face aux aléas climatiques.

Bénéfices de la diversification des cultures - Source : CIRAD
Bénéfices de la diversification des cultures - Source : CIRAD

Opportunités économiques :

  • Diversification des Revenus : Accès à de nouveaux marchés grâce à la variété des produits cultivés, améliorant la résilience économique.
  • Réduction des coûts liés aux pesticides : Dans un contexte de forte pression de bioagresseurs, la diversification permet de lutter contre leur prolifération.
  • Réduction des coûts liés aux engrais : Dans un système à bas niveaux d’intrants comme l’Agriculture Biologique, la diversification, notamment via l’introduction de légumineuses fixatrices d’azotes, permet de lutter contre l’appauvrissement des sols.

La diversification s'avère économiquement plus avantageuse dans des contextes où les prix de vente des cultures sont bas ou lorsque les coûts des intrants sont élevés.

Impacts sociaux :

  • Sécurité alimentaire : Diversification des cultures contribuant à une alimentation plus variée et nutritive. Toutefois cela implique qu’il existe des débouchés pour ces nouvelles cultures introduites dans la rotation et donc que le consommateur soit prêt à changer son régime alimentaire (i.e. consommation d’une part plus importante de protéines végétales pour soutenir l’augmentation des surfaces de légumineuses à graine (soja, lentilles, pois, pois chiches etc.)
  • Santé : Réduction de l'exposition aux pesticides chimiques, favorisant une meilleure santé publique.

Bénéfices environnementaux :

  • Biodiversité : Préservation de la biodiversité grâce notamment à la réduction de l'utilisation des pesticides et à la diversité des milieux.
  • Qualité de l'eau et du sol : Amélioration de la qualité de l'eau et du sol grâce à une gestion plus naturelle et moins intensive.
  • Contrôle naturel des ravageurs : Réduction des problèmes de ravageurs et de maladies, diminuant le besoin d'interventions chimiques.
  • Qualité de l’air : Pratiques qui permettent une production de biomasse plus importante par unité de temps et de surface, augmentant ainsi la capacité de stockage du carbone et contribuant à la lutte contre le changement climatique.

Ces impacts démontrent que la diversification des systèmes de culture va au-delà des avantages agronomiques, touchant des aspects fondamentaux de l'économie, de la société, et de l'environnement.

Impacts des différentes stratégies de diversification des systèmes de culture - Source : CIRAD
Impacts des différentes stratégies de diversification des systèmes de culture - Source : CIRAD

Bien que les cultures de couverture puissent entraîner une légère augmentation des émissions de gaz à effet de serre, il est aussi crucial de considérer leur potentiel de séquestration de carbone. Avec une gestion adéquate, ces cultures peuvent en réalité stocker beaucoup plus de carbone qu'elles n'en émettent, offrant ainsi un bilan carbone nettement positif.

Il existe encore un manque de données concernant les mélanges variétaux mais aussi concernant l’évaluation des impacts en termes de rentabilité pour l’agriculteur.


c) Les limites en Grandes Cultures

Bien que ces différentes pratiques de diversification connaissent de nombreux bénéfices environnementaux, leur développement connaît encore d’importants freins.

Quelques freins à l’intégration des conduites de diversification au sein des fermes françaises :

En amont de l’exploitation agricole

  • Difficulté d’approvisionnement en semences performantes adaptées aux systèmes diversifiés ;
  • Coûts élevés et accès limité aux agroéquipements spécifiques ;
  • Manque de connaissances sur les pratiques et les filières des cultures diversifiées.

En aval de l’exploitation agricole

  • Manque de débouchés, demande insuffisante, standards de production contraignants.

En accompagnement politiques

  • Réglementation et taxation pas assez incitatives au changement de pratiques ;

Gradients comparatifs des pratiques de diversification culturale - Source : Analyse ReSoil sur base de l’INRAE
Gradients comparatifs des pratiques de diversification culturale - Source : Analyse ReSoil sur base de l’INRAE

Malheureusement, il s’avère que plus une pratique agricole a le potentiel d’impacter positivement l’environnement, plus sa mise en œuvre est complexe.

Le marché de niche pour certaines cultures diversifiées limite les débouchés, et la mécanisation spécifique nécessaire peut représenter un coût initial élevé. À court terme, les agriculteurs peuvent également faire face à des difficultés économiques liées au changement de pratiques.

La société attend des agriculteurs qu'ils innovent et adoptent de nouvelles méthodes de production. Cependant, pour initier toute démarche de recherche et développement, un financement adéquat est indispensable. Actuellement, les agriculteurs français manquent de la marge financière nécessaire pour entreprendre de telles innovations sans risquer la stabilité économique de leurs exploitations à court terme.

Ainsi, pour encourager efficacement cette transition dans le secteur agricole, il est crucial de fournir un soutien financier aux exploitations durant leur phase de transition.

III. La diversification des cultures face au réchauffement climatique

a) Impact dans le cycle du carbone

La végétation a la capacité de capter le carbone de l’atmosphère et d’en stocker une partie dans les sols. En améliorant la santé de ces sols, ces pratiques de diversification permettent une augmentation de la production de biomasse végétale et donc augmentent la capacité de stockage de carbone, un élément clé dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L'agriculture se distingue par sa double capacité à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre et, plus important encore, à séquestrer du carbone. Elle constitue un acteur clé dans la lutte contre le réchauffement climatique, d'autant plus qu'elle occupe près de 50% du territoire français. Cette particularité fait de l'agriculture un secteur stratégique pour aborder efficacement les enjeux environnementaux.

Estimation du stock de carbone dans les 30 premiers centimètres du sol – Source : GIS sol
Estimation du stock de carbone dans les 30 premiers cm du sol – Source : GIS sol

b) Choix de cultures plus résilientes, mais encore un verrou économique à lever

L'augmentation des épisodes de sécheresse et l'intensification des aléas climatiques accentuent l'impératif d'adapter en profondeur les exploitations et les filières agricoles au changement climatique. Des cultures plus robustes comme le soja, le tournesol, le chanvre et le lin fibre d’hiver commencent à s'implanter dans l'agriculture française, mais des défis économiques persistent pour leur développement.

Du point de vue agronomique, il existe encore un manque en recherche de variétés pour ces cultures, ainsi que des enjeux techniques tels que la gestion des adventices et les restrictions sur certains produits chimiques, avec des difficultés particulières lors de l'implantation des cultures. Économiquement, ces cultures génèrent des marges brutes inférieures aux cultures traditionnelles, excepté pour le lin fibre.

Soja :

  • Évolution de la surface en France de 2018 à 2022 : +18%, en passant de 154 000 à 182 000 ha.
  • Avantages majeurs : Nécessite peu de traitements phytosanitaires, réduisant ainsi la consommation d'énergie fossile, et, en tant que légumineuse, grâce à sa capacité à fixer l'azote atmosphérique, le soja est peu exigeant en engrais.
  • Principal frein : La production de soja en France fait face à une concurrence internationale avec l'importation de soja OGM, moins coûteux pour le consommateur. De plus, le marché de l'alimentation humaine peine à se développer pour le soja français.


Tournesol :

  • Evolution de la surface en France de 2018 à 2022 : +56%, en passant de 552 000 à 861 000 ha.
  • Avantage majeur : Adapté aux périodes de sécheresses estivales, le tournesol est une culture d'été robuste avec une bonne tolérance au stress hydrique, même en sols superficiels.
  • Principal frein : Le tournesol est très appétant pour les ravageurs comme les colombidés ou les corvidés. En 2019, plus d’une parcelle sur deux ayant subi des dégâts d’oiseaux a dû être ressemée.


Chanvre :

  • Evolution de la surface en France de 2018 à 2022 : +18%, en passant de 16 000 à 19 000 ha. La France est le 1er producteur de chanvre en Europe
  • Avantages majeurs : Comme pour le soja, le chanvre est très peu exigeant en intrants et ne nécessite pas l’apport de produits phytosanitaires. La culture de chanvre est également reconnue pour sa capacité à structurer les sols en profondeur grâce à son important réseau racinaire, ce qui lui permet par ailleurs d’être robuste en période de sécheresse.
  • Principal frein : Sa récolte requiert un agroéquipement spécifique, ce qui peut être une problématique pour une culture de niche.


Lin fibre :

  • Evolution de la surface en France de 2018 à 2022 : +24%, en passant de 106 000 à 131 000 ha. La France est le 1er producteur de lin fibre en Europe
  • Avantages majeurs : Avec le développement de variétés adaptées à l'hiver, le lin fibre d'hiver, plus résistant au stress hydrique que le lin de printemps, nécessite moins d'intrants que des cultures comme le coton. Sa diversification de débouchés et sa marge brute intéressante représentent une opportunité économique pour les exploitations.
  • Principaux freins : Sensible au gel, un gel tardif après le semis peut être problématique. Comme le chanvre, sa culture nécessite un agroéquipement spécifique.

IV. Etat des lieux des principales pistes de diversification des cultures en Grandes Cultures en France


Mélanges variétaux

Le blé qui est la culture la plus produite en France est en grande majorité semée en mono-variété. Selon l'INRAE, seulement 17% des surfaces sont cultivées en mélange de 2 à 3 espèces. Les scientifiques préconisent des mélanges de 4 à 5 variétés pour assurer la régulation des maladies, qui est le principal bénéfice de cette pratique.


Cultures associées

Encore peu développée, l’association de cultures concerne entre 0,1 et 3% des surfaces cultivées selon les régions, l’association la plus répandue étant la céréales-protéagineux. Les chercheurs recommandent d’associer au moins 2 espèces non sensibles aux mêmes bioagresseurs et complémentaires dans leur utilisation des ressources pour limiter leur compétition.


Rotations culturales

En France, les rotations culturales sont encore peu diversifiées, près de 80% de la surface en Grandes Cultures ne dépasse pas les 3 cultures. La rotation colza-blé-orge est la plus pratiquée. Les chercheurs suggèrent d’allonger les rotations au-delà de 3 ans et d’alterner les cultures d’hiver et de printemps, tout en insérant des légumineuses. L’objectif ici est surtout de limiter la pression sur les ressources des sols et réduire la prolifération des adventices.


Cultures de couverture

L'adoption des cultures de couverture dans les exploitations agricoles françaises est impulsée par des réglementations existantes. Bien que cette pratique soit déjà largement développée, elle offre un potentiel d'optimisation significatif, notamment en termes de production de biomasse végétale et de choix variétaux. Actuellement, de nombreux agriculteurs se limitent à la quantité minimale requise par la réglementation, mais il y a une opportunité pour eux de produire plus de biomasse par unité de surface. Augmenter la production de biomasse n'est pas seulement une question de conformité, mais représente également un levier majeur pour le stockage de carbone dans les sols.


Agroforesterie

Encore peu répandu en intra-parcellaire, l’agroforesterie représente moins de 1% de la surface agricole nationale. Néanmoins, cette pratique connait une légère hausse ces dernières années, une croissance lente corrélée au fait que cette conduite nécessite d’important changements dans le système d’exploitation d’un agriculteur.    

V. Conclusion et action de ReSoil pour faciliter l’adoption de la diversification culturale en France

En conclusion, face aux défis climatiques et environnementaux actuels, la diversification culturale s'impose comme une solution incontournable pour une agriculture durable en France. Toutefois, son adoption nécessite de surmonter des obstacles économiques, techniques et organisationnels. C'est là que ReSoil intervient pour lever ces obstacles, grâce à son offre de rémunération carbone dans le cadre du le Label Bas Carbone.

ReSoil s'engage à faciliter cette transition vers des pratiques agricoles diversifiées. En offrant un soutien agronomique et financier, ReSoil aide les agriculteurs à intégrer des cultures résilientes et écologiquement bénéfiques. En collaborant étroitement avec les agriculteurs, ReSoil vise à développer des solutions pratiques aux défis de la diversification, tout en assurant la viabilité économique des exploitations.

Par ses actions, ReSoil contribue à construire un avenir agricole plus durable et résilient en France, prouvant que la diversification culturale, loin d'être un idéal lointain, est une réalité tangible et bénéfique pour tous les acteurs de l'agriculture.

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