03 juin 2025
Produire mieux, avec moins : c’est le défi que la filière pomme de terre se lance. Face à l’urgence climatique, à la volatilité des marchés et à des consommateurs de plus en plus attentifs à l’impact environnemental des produits qu’ils consomment, l’ensemble des maillons de la filière est invité à se réinventer.
La bonne nouvelle ? Les leviers sont là. Mieux encore : des agriculteurs ont déjà commencé à les activer. Optimisation des apports azotés, outils d’aide à la décision, énergies renouvelables, pratiques agroécologiques… À travers tout le territoire, des producteurs montrent qu’il est possible de conjuguer performance économique, qualité du produit, et réduction de l’empreinte carbone.
Mais ils ne pourront pas le faire seuls. Si la transition est amorcée dans les champs, c’est maintenant à la filière dans son ensemble, coopératives, industriels, transformateurs, distributeurs, financeurs de les accompagner, en apportant du soutien, des débouchés, des investissements, et surtout une vision commune.
Cet article propose un état des lieux de la filière pomme de terre française, de ses forces, ses défis, et surtout des solutions concrètes déjà à l’œuvre pour la décarboner.
Avec une surface cultivée d'environ 200 000 hectares en 2023, la pomme de terre est devenue une culture majeure dans l’agriculture française, avec l’augmentation de surface la plus élevé sur la dernière décennie, +30% d’ha planté en pomme de terre entre 2012 et 2022 (source : Agreste). La production nationale est aujourd’hui estimée à plus de 8.6 millions de tonnes annuelles, faisant de l’agriculture française la 2ème plus productrice d’Europe, après l’Allemagne.
Les principaux bassins de production français sont situés dans les régions des Hauts-de-France, du Grand Est, de la Normandie et du Centre-Val de Loire. Les Hauts-de-France constituent de loin la principale région productrice, concentrant à elle seule plus de la moitié de la production nationale grâce à ses sols limoneux particulièrement fertiles et son climat adapté à la pomme de terre. La spécialisation régionale permet aux producteurs de bénéficier d'un écosystème favorable comprenant coopératives agricoles, infrastructures logistiques et proximité avec les unités industrielles de transformation.
La France est un leader européen de la production de pommes de terre, particulièrement sur le marché des pommes de terre fraîches et transformées (frites, chips, flocons). Elle est également un acteur majeur à l’échelle mondiale, se classant 1er pays exportateur en volume et 2ème en valeur de pomme de terre fraîche en 2023. Les pommes de terre fraiches françaises sont exportées à 95% vers l'Europe, mais aussi vers des marchés en croissance tels que l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Asie. La qualité des pommes de terre françaises, leur traçabilité rigoureuse et les normes environnementales élevées participent à renforcer la position compétitive de la France à l'international.
La récolte 2024 a été complexe en raison d’importantes précipitations, rendant certains chantiers d’arrachages presque impraticables et très coûteux. Néanmoins, selon l’UNPT et CNIPT, la surface dédiée à la production de pomme de terre devraient continuer d’augmenter, motivée par une demande mondiale qui continue d’augmenter.
En effet, la consommation mondiale de pommes de terre transformées, notamment sous forme congelée ou déshydratée, est en forte croissance et devrait se poursuivre. Pour répondre à cette demande, des investissements seront nécessaires, dans un contexte de concurrence accrue. Des pays comme la Chine et l’Inde ont considérablement développé leur industrie et concurrencent désormais les grands exportateurs (Belgique, États-Unis, Pays-Bas), notamment sur les marchés des pays en développement.
En parallèle, le changement climatique et la raréfaction des terres arables dans les zones traditionnelles de production créent des incertitudes sur les rendements futurs. Les tensions sur l’accès aux ressources agricoles, tant économiques que géopolitiques, pourraient s’intensifier dans les années à venir.
La pomme de terre est une culture exigeante quant à la structure et à la qualité du sol. Avant la plantation, une préparation minutieuse est nécessaire pour favoriser la croissance optimale des tubercules. Cela comprend généralement un labour (ou une technique simplifiée) suivi d’un travail superficiel du sol pour affiner la structure et faciliter la levée homogène des plants. L’objectif est d’obtenir un lit de semences meuble, régulier, sans obstacle physique qui risquerait de perturber le développement des tubercules.
Durant cette période, la plante forme rapidement son appareil foliaire et développe ses racines. Cette phase nécessite une attention particulière en termes de protection phytosanitaire, de désherbage ainsi que de suivi hydrique. La pomme de terre étant très sensible aux excès comme aux manques d’eau, une irrigation raisonnée peut s'avérer indispensable dans certaines régions.
La tubérisation correspond à la formation et à la croissance des tubercules sous terre, qui survient dès le début du stade végétatif, environ 5 à 6 semaines après la plantation. Cette étape est fortement influencée par des facteurs externes tels que la température du sol, la longueur du jour, l’alimentation minérale (azote, phosphore, potassium) et l’humidité disponible.
À l'approche de la maturité, la sénescence du feuillage est recherchée, parfois aidée par un défanage mécanique ou thermique, éventuellement complété chimiquement selon les cahiers des charges. Cela permet une maturation homogène des tubercules, facilite la récolte et améliore leur conservation future.
L’opération nécessite une grande précaution mécanique pour éviter tout dommage qui serait préjudiciable à la conservation ou à la commercialisation. Une fois récoltés, les tubercules passent par une phase de séchage, puis sont entreposés dans des conditions optimisées de température (entre 4°C et 8°C selon les objectifs commerciaux) et d’hygrométrie, dans des bâtiments spécifiquement aménagés. Un stockage optimal limite fortement les pertes dues à la germination précoce, aux maladies de conservation ou au verdissement des tubercules, garantissant ainsi un maintien de leur qualité et une valorisation maximale.
La filière pomme de terre en France se compose de plusieurs segments bien différenciés, chacun représenté par une interprofession dédiée :
Cette organisation permet d’assurer une cohésion au sein de la filière, de partager rapidement les analyses de marché, ou encore d’aider au financement de travaux de R&D, notamment en collaboration avec Arvalis.
La filière pomme de terre française repose sur une segmentation fine des productions, avec des débouchés bien différenciés selon le type de tubercule cultivé. Cette diversité permet de répondre à des usages variés, depuis la consommation fraîche jusqu’à des besoins industriels très spécialisés.
Pomme de terre primeur :
Récoltée avant maturité complète (d’avril à juillet), reconnaissable par sa peau très fine, la pomme de terre primeur est destinée à une consommation en frais, souvent locale et saisonnière. Elle séduit par sa peau fine, sa texture fondante et son goût légèrement sucré. Ce marché de niche valorise les circuits courts et les terroirs. Conservation courte, logistique spécifique.
Pomme de terre plant :
Il s’agit de pommes de terre destinées à être replantées pour une future récolte. Ce marché très technique est soumis à des exigences strictes de traçabilité, de qualité sanitaire et de certification. La France est un acteur important à l’export sur ce segment, notamment vers l’Afrique du Nord et l’Europe de l’Est.
Pomme de terre fécule :
Produite spécifiquement pour sa richesse en amidon, la pomme de terre féculière est transformée en fécule utilisée dans l’agroalimentaire (sauces, soupes, charcuterie), la pharmacie, le textile ou la chimie. C’est une production contractuelle et industrielle, concentrée dans le nord de la France.
Pomme de terre de conservation :
Récoltée à pleine maturité (septembre-octobre), elle est destinée à une consommation étalée dans le temps. Grâce à une bonne tenue au stockage (température, humidité, germination maîtrisée), elle alimente toute l’année les marchés du frais, de la restauration et les transformateurs. Elle regroupe deux grands débouchés :
En France, la consommation annuelle moyenne par habitant se situe autour de 50 kg (toutes formes confondues). Les habitudes alimentaires évoluent cependant vers des produits transformés ou prêts à consommer, ce qui explique l’essor des débouchés industriels ces dernières décennies.
Dans le même temps, on note un intérêt croissant des consommateurs pour l’origine locale, le bio, la transparence sur les modes de production ainsi que pour une pomme de terre qui répond à des attentes sociétales fortes (moins d’intrants chimiques, traçabilité accrue, empreinte carbone réduite). Ces nouvelles tendances de consommation représentent autant d’opportunités pour les producteurs et les transformateurs de la filière française, qui doivent toutefois relever le défi d’une évolution technique et économique ambitieuse pour rester compétitifs tout en répondant à ces attentes sociétales.
À l’heure où les attentes sociétales et réglementaires augmentent concernant l’impact environnemental des productions agricoles, la pomme de terre française fait l’objet d’une attention particulière des acteurs de la filière. Si sa culture présente généralement une empreinte carbone modérée par rapport à d’autres filières agricoles, notamment animales, elle reste néanmoins significative en raison d’un itinéraire technique relativement intensif : forte mécanisation, besoins élevés en intrants (fertilisants azotés, traitements phytosanitaires) et utilisation fréquente de l’irrigation dans plusieurs régions.
D’après les analyses de l’ADEME, l’impact carbone d’une portion de frite (de 120g) s’élève à environ 175g CO2e, soit près d’ 1,5kg CO2e / kg de frite, avec plus d’ 1/4 issu de l’agriculture.
Les émissions de gaz à effet de serre liées à la production de pomme de terre se répartissent principalement comme suit :
A ces émissions s’ajoutent celles liées au stockage, plus au moins énergivore selon l’installation, les pommes de terre de conservation sont maintenues à de températures contrôlées pendant plusieurs mois.
Les analyses de cycle de vie, bilans carbone ou diagnostics environnementaux permettent aujourd’hui aux producteurs et aux transformateurs de cibler précisément les leviers de réduction les plus efficaces pour développer une production de pommes de terre plus durable et résiliente.
Au delà des intérêts agronomiques, ces démarches sont essentielles pour répondre aux attentes croissantes des industriels agroalimentaires, des distributeurs et des consommateurs en quête de produits à faible impact environnemental. En témoignent l’intérêt grandissant pour les certifications environnementales (Label Bas-Carbone, HVE, agriculture biologique, etc.) et les démarches volontaires d’amélioration continue menées par les producteurs et les transformateurs de la filière pomme de terre française.
Les interprofessions de la pomme de terre, telles que le CNIPT et le GIPT, ont lancé en début d'année 2024 un projet ambitieux visant à analyser et réduire l'empreinte carbone de la filière, notamment dans le secteur du frais. Ce projet comprend un diagnostic carbone de la filière, l'identification des leviers de décarbonation et l'élaboration d'une feuille de route pour atteindre les objectifs de réduction des GES.
La fertilisation azotée constitue le principal poste d’émissions de gaz à effet de serre en culture de pomme de terre, notamment via le protoxyde d’azote (N₂O), un gaz à effet de serre presque 300 fois plus puissant que le CO₂.
De nombreuses pratiques permettent de réduire l’impact environnemental tout en maintenant les rendements. Mais leur mise en œuvre dépend aussi de contraintes agronomiques, économiques ou organisationnelles.
Voici un panorama des principaux leviers et des freins rencontrés sur le terrain :
Les agriculteurs sont prêts à s'engager, mais ils doivent être accompagnés. Incertitudes techniques, contraintes de temps, ou surcoûts initiaux sont autant de freins à lever. C’est ici que les financeurs, transformateurs et acteurs de la filière ont un rôle stratégique à jouer : orienter les achats, structurer les filières bas-carbone, ou financer la transition.
Optimisation énergétique des procédés industriels :
Les industriels de la transformation de la pomme de terre (frites surgelées, chips, purées déshydratées…) ont tout intérêt à renforcer leur efficacité énergétique. Cela passe notamment par la récupération de chaleur, l'optimisation des circuits frigorifiques et de congélation, et l'investissement dans des systèmes plus performants (séchoirs, échangeurs thermiques innovants).
Recours aux énergies renouvelables sur les sites industriels :
L’installation d’équipements photovoltaïques, de chaudières biomasse ou la valorisation locale du biogaz issu de méthaniseurs agricoles permet aux industries de réduire significativement leur empreinte carbone liée à la consommation d’électricité et de chaleur. De nombreux industriels, tels que McCain ou Lamb Weston Meijer, développent déjà activement ces approches sur leurs sites.
Optimisation logistique et circuits courts industriels :
En réorganisant la logistique des flux de pommes de terre entre producteurs et sites industriels, notamment grâce à une régionalisation accrue des approvisionnements, les émissions liées au transport peuvent être considérablement réduites. Favoriser les approvisionnements locaux ou régionaux, par exemple dans les Hauts-de-France, permet ainsi d’améliorer significativement l’empreinte carbone finale du produit transformé.
Enfin, la mise en œuvre de ces leviers doit être couplée à une communication transparente auprès des consommateurs, des industriels agroalimentaires et de la distribution, afin de valoriser pleinement les efforts réalisés tout au long de la filière. Des démarches structurées telles que le Label Bas-Carbone en agriculture, les certifications environnementales (HVE, Agriculture biologique) ou encore les engagements d’entreprises volontaires dans des stratégies de neutralité carbone permettent de renforcer l’attractivité commerciale des pommes de terre françaises tout en consolidant la pérennité économique de la filière.
La transition carbone de la filière pommes de terre n’est plus un horizon théorique : elle est déjà en marche. Les outils de mesure sont là, les leviers techniques sont éprouvés, et sur le terrain, des agriculteurs changent leurs pratiques, avec méthode, engagement et professionnalisme.
Il s’agit désormais de passer à l’échelle, massifier les bonnes pratiques, structurer des filières contractuelles bas-carbone. Les agriculteurs sont prêts à évoluer, à la filière dans son ensemble – industriels, coopératives, financeurs – de transformer cet élan en stratégie partagée.
Le aléas climatiques à répétition ne nous laisse plus de marge et sur le plan économique la concurrence internationale se durcit : Chine, Inde, nouveaux entrants... Ceux qui investissent aujourd’hui construisent l’avantage compétitif de demain.
La filière française a les cartes en main. Elle dispose de la technique, des talents, et d’un socle productif solide. À nous de nous en saisir collectivement, avec ambition et cohérence.
Pour en savoir plus sur la contribution carbone, l’empreinte carbone d’une culture ou les leviers de décarbonation, contactez-nous !