25 novembre 2025

En se réunissant à Belém, au cœur de l’Amazonie, la communauté internationale avait promis une COP différente. Moins de grandes déclarations, plus de réponses concrètes à une question simple : non plus que faire pour tenir l’Accord de Paris, mais comment y arriver vraiment, avec des plans, des financements et des règles du jeu claires. La présidence brésilienne avait d’ailleurs mis en avant cette édition comme une « COP de la mise en œuvre », rapidement rebaptisée par beaucoup « COP de la vérité ».
La vérité, au terme de deux semaines de négociations tendues, est un peu inconfortable. Oui, un « paquet de Belém » a été adopté, avec une décision politique centrale, la décision « Global Mutirão », qui fixe un cap sur le financement, l’adaptation et la transition juste. De nouveaux outils voient le jour :
• indicateurs mondiaux d’adaptation,
• fonds tropical pour les forêts,
• mécanisme de transition juste,
• dialogue climat-commerce.
Mais la COP30 s’achève aussi sans feuille de route sur les énergies fossiles, sans trajectoire claire pour la déforestation, et avec une ambition sur le financement qui reste loin de l’urgence climatique. Alors, que devons-nous retenir ?
Organiser la 30ᵉ COP à Belém, en Amazonie, n’était pas un choix neutre. Pour la première fois, une conférence climat se tenait dans une grande ville directement connectée au plus vaste réservoir de biodiversité et de carbone de la planète.
Politiquement, le message était clair : parler climat en Amazonie, c’est mettre les enjeux d’usage des terres, de déforestation, d’agriculture et de droits des peuples autochtones au centre du jeu, loin de l’image de COP organisées dans des pétromonarchies. Pour beaucoup de pays du Sud, c’était aussi l’espoir d’une COP de justice climatique, portée par un grand pays émergent revenu sur le devant de la scène après des années de politiques climatosceptiques.

Dès l’amont de la COP, le président Lula a mis les forêts au cœur de son récit, en lançant le Tropical Forests Forever Facility (TFFF) : un mécanisme destiné à rendre la conservation des forêts tropicales plus rentable que leur destruction. L’idée : constituer un fonds de type « dotation » (endowment) alimenté par des contributions publiques et privées, dont les revenus annuels rémunèreraient les pays qui réussissent à stopper la déforestation et à restaurer leurs forêts. Une part significative de 20 % est réservée aux peuples autochtones et aux communautés locales.
Avec ce dispositif, le Brésil espère mobiliser à terme jusqu’à 125 milliards de dollars et faire de la préservation de la forêt un véritable « modèle économique » pour 70 à 80 pays tropicaux.
Au-delà des forêts, trois grandes promesses structuraient les attentes autour de Belém :
• Climat et nature : articuler enfin, de manière concrète, l’Accord de Paris avec les objectifs sur la biodiversité et les terres (désertification, dégradation des sols…).
• Justice climatique et sociale : avancer sur la notion de transition juste, pour que la sortie progressive des fossiles et la transformation des systèmes alimentaires ne se fassent pas « contre » les travailleurs ni les communautés vulnérables.
• Mise en œuvre : passer des grandes promesses à un agenda précis sur les contributions nationales (NDC), l’adaptation et le financement, ce que la présidence a baptisé « Global Mutirão », en référence à une forme de mobilisation collective brésilienne.
Vu de la France et de l’Europe, cette COP amazonienne promettait aussi un espace de discussion privilégié sur les solutions fondées sur la nature : forêts, sols, agroécologie, qui sont au cœur de démarches comme le Label bas-carbone et des projets que ReSoil accompagne.
Malgré un contexte politique explosif, COP 30 n’est pas une COP « blanche ». Plusieurs avancées sont réelles, même si elles restent souvent moins ambitieuses que ce que réclamaient les pays les plus vulnérables.
Texte politique central de la conférence, la décision dite Global Mutirão donne la colonne vertébrale du « paquet de Belém ». Elle :
• Réaffirme l’objectif d’atteindre 1 300 milliards de dollars par an de financements publics pour les pays en développement d’ici 2035, dans le prolongement de l’accord trouvé l’an dernier à Bakou ;
• Appelle à tripler les financements spécifiquement dédiés à l’adaptation d’ici 2035, au-delà du simple doublement promis à Glasgow pour 2025 ;
• Lance un programme de travail de deux ans sur le financement climat pour clarifier comment atteindre ces objectifs, ainsi qu’un dialogue formel climat-commerce sur les mesures de type ajustement carbone aux frontières.
Sur le papier, cela acte que l’on sort d’une simple logique « 100 milliards par an », promesse jamais vraiment tenue, pour entrer dans un ordre de grandeur à la hauteur des besoins. Dans les faits, le texte reste très vague sur « qui paie quoi, quand et comment », un flou qui alimente la frustration des pays du Sud.
Sur l’adaptation, COP 30 marque une étape importante : les pays adoptent 59 indicateurs globaux pour suivre les progrès vers l’Objectif mondial d’adaptation (Global Goal on Adaptation) défini dans le cadre de Dubaï, dont plusieurs sont liés aux écosystèmes, à l’agriculture et à l’eau.
Ces indicateurs couvrent notamment :
• La résilience des systèmes alimentaires et agricoles ;
• La santé des écosystèmes et de la biodiversité ;
• La capacité des populations à faire face aux risques climatiques.
Ils restent toutefois volontaires et non prescriptifs, et de nombreux experts regrettent que la version adoptée soit bien moins robuste et détaillée que les propositions initiales d’un groupe d’experts techniques.
Sur le volet nature, la grande annonce reste la mise en route du Tropical Forests Forever Facility. Lancé officiellement à Belém, ce mécanisme vise à fournir un flux prévisible et de long terme de financements pour les pays qui préservent ou restaurent leurs forêts tropicales, sur la base de résultats mesurés.
Ce n’est pas un marché carbone au sens classique : l’idée n’est pas de délivrer des crédits échangeables mais de rémunérer un service écosystémique global. Le signal envoyé est important : protéger la forêt devient un investissement structurel, pas un « co-bénéfice » périphérique.
Dans le même temps, les négociations onusiennes sur les mécanismes de marché de l’Article 6 avancent à petits pas, avec des règles toujours strictes sur l’intégrité des projets, mais une intégration des solutions fondées sur la nature plus compliquée qu’espéré (questions de fuites, de lignes de base, etc.).
Autre avancée importante, bien que peu visible médiatiquement : l’institutionnalisation d’un mécanisme de transition juste. Le texte reconnaît explicitement que la transition vers des économies bas-carbone doit être « juste, ordonnée et équitable » pour les travailleurs et les communautés, et que les politiques climatiques doivent respecter les droits humains fondamentaux (liberté d’association, négociation collective, protection sociale…).
Pour le monde agricole, cela fait écho à des questions très concrètes : comment accompagner les agriculteurs dans la réduction des intrants, la diversification des cultures ou la baisse de l’élevage intensif, sans les fragiliser économiquement ? Comment faire en sorte que les projets financés, y compris via des crédits carbones, renforcent les revenus, l’emploi et la résilience des territoires ruraux ? C’est précisément le type de réponse que des projets Label bas-carbone robustes doivent apporter.
Enfin, COP 30 acte pour la première fois un dialogue formel entre climat et commerce, en lien avec l’OMC et d’autres institutions. L’objectif est de clarifier les règles autour des mesures commerciales liées au climat (type CBAM européen) et d’éviter qu’elles ne se transforment en guerres commerciales ouvertes.
L’Union européenne, très attachée à ses instruments de prix du carbone (marché EU ETS, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières), voit dans ce dialogue une occasion de légitimer son approche. Mais pour beaucoup de pays en développement, ce sujet reste explosif : l’UE est accusée de vouloir exporter ses contraintes climatiques sans offrir suffisamment de soutien financier et technologique en retour.
Derrière ces avancées relatives, COP 30 laisse un goût amer. Pour beaucoup d’observateurs, elle restera comme l’une des COP les plus divisives depuis le début du processus.
Sur le plan symbolique, l’image est forte : un fossé s’est rapidement creusé entre ce que Lula voulait faire de cette COP, une conférence marquée par des feuilles de route de sortie des fossiles et de fin de la déforestation, et ce que le président de la COP, le diplomate André Corrêa do Lago, jugeait politiquement possible dans un système qui fonctionne au consensus.
Lula a plaidé pour que Belém soit le moment où l’on bascule d’engagements vagues à de véritables roadmaps : calendrier, points de passage, politiques concrètes. Soutenue rapidement par plus de 80 pays (Union européenne, Colombie, Kenya, petits États insulaires…), cette idée s’est heurtée à une opposition frontale des grands producteurs de pétrole et de gaz (Arabie saoudite, Russie, certains pays du Golfe) et au silence prudent de la Chine.
Do Lago, dont la « boussole » était le maintien du consensus, a fini par sortir ces feuilles de route du texte négocié, pour ne les proposer qu’en dehors du cadre formel de la COP : deux roadmaps volontaires, l’une sur la transition hors des fossiles, l’autre sur la déforestation, qui devront être discutées lors d’une conférence en Colombie en 2026.
Résultat : pour un grand nombre de pays vulnérables et d’ONG, le message est dévastateur : en Amazonie, aucune feuille de route obligatoire pour sortir des fossiles ni pour stopper la déforestation n’a été adoptée.

Malgré le soutien d’une large coalition, l’accord final ne contient aucune mention explicite des énergies fossiles. Il se contente de rappeler la décision de Dubaï (COP 28) appelant à une « transition away from fossil fuels », sans la traduire en calendrier ni en objectifs chiffrés.
De la même manière, la feuille de route proposée pour mettre fin à la déforestation et inverser la tendance n’apparaît pas dans la décision Mutirão finale. Certes, le lancement du TFFF envoie un signal fort sur les financements possibles pour les pays forestiers. Mais du point de vue juridique, rien n’oblige les États à aligner leurs politiques forestières sur une trajectoire compatible avec 1,5 °C. Pour les ONG et les pays à forêts tropicales qui plaidaient pour lier explicitement climat et biodiversité dans le texte, c’est une occasion manquée.
Beaucoup résument ainsi le bilan : la COP 30 « sauve » le multilatéralisme, mais ne répond pas à l’urgence climatique, en particulier sur la sortie des fossiles et l’enjeu de la déforestation.
Sur la finance climat, le compromis est lui aussi ambigu. Les pays en développement demandaient un triplement des financements d’adaptation d’ici 2030, de l’ordre de 120 milliards de dollars par an. Ils obtiennent finalement un triplement d’ici 2035, sans trajectoire intermédiaire ni objectif chiffré strict. En parallèle, le Fonds pour les pertes et dommages reste très loin des montants nécessaires, et la reconstitution du Fonds vert pour le climat est jugée décevante.
On retrouve ici une ligne de fracture très nette : beaucoup de pays du Sud estiment qu’ils se voient réclamer une hausse d’ambition sur les fossiles et les NDC, sans contrepartie financière crédible. À l’inverse, l’UE et d’autres donateurs mettent en avant leur propre effort budgétaire et réclament que les grands émergents (Chine, pays du Golfe…) contribuent davantage.
Pour l’Union européenne, COP 30 est largement perçue… comme une mauvaise COP. En acceptant le principe du triplement de l’adaptation, l’UE espérait obtenir en échange une feuille de route claire sur les fossiles et un renforcement des NDC. En réalité, elle se retrouve piégée : le mot « tripling » reste dans le texte, mais les avancées sur les fossiles disparaissent.
Par ailleurs, sa défense acharnée des marchés carbone et de la tarification du carbone (EU ETS, CBAM) suscite de plus en plus de critiques de la part de pays qui voient dans ces instruments une forme de néoprotectionnisme vert.
Pour ReSoil, qui opère sur un marché volontaire national (Label bas-carbone) avec des standards exigeants, cette défiance n’est pas anodine. Elle renforce la nécessité de prouver la qualité, la transparence et l’impact réel des crédits carbones, sous peine de voir l’outil lui-même remis en cause.
Enfin, la COP 30 intervient à un moment charnière du cycle de l’Accord de Paris : les pays doivent soumettre de nouveaux NDC et produire leurs premiers rapports de transparence complète d’ici 2026. Plusieurs initiatives, dont un « ethical stocktake » porté par des acteurs de la société civile, ont rappelé l’énorme écart entre les trajectoires actuelles (≃ 2,3 °C) et l’objectif de 1,5 °C.
La décision Mutirão « encourage » les États à renforcer leurs NDC sans attendre, mais sans fixer d’échéance ni de contrainte claire. Là encore, le message est plus politique qu’opérationnel.
Au bout du compte, COP30 ne raconte pas une histoire simple. Elle tient debout si l’on la lit comme une COP de structuration du cadre (financement, adaptation, transition juste, forêts). Elle déçoit profondément si l’on attendait d’elle des décisions fondatrices sur les fossiles, la déforestation et les NDC.
Pour les acteurs de terrain, une leçon s’impose : on ne peut plus se contenter d’attendre que les COP tranchent à notre place.
Les grandes décisions internationales :
• Donnent un cap (1,5 °C, adaptation, justice sociale) ;
• Ouvrent des enveloppes financières et des outils (fonds, programmes, mécanismes) ;
• Créent des attentes sur l’intégrité et la transparence des projets.
• dialogue climat-commerce.
Mais la transformation réelle se jouera dans :
• Les politiques nationales et régionales,
• Les choix d’investissement des entreprises et des financiers,
• Les projets concrets dans les territoires.
C’est là que des acteurs comme ReSoil ont leur place : faire le lien entre les grandes trajectoires globales et les décisions prises sur une ferme, dans une coopérative, dans une PME agroalimentaire. Autrement dit, traduire l’esprit de Belém (adaptation, nature, justice, finance) en changements tangibles dans les systèmes de culture, les rotations, les pratiques d’élevage ou de gestion de l’eau.
Les prochaines années seront décisives. En 2026, une « triple séquence » climat-biodiversité-terres doit se tenir. Si Belém a montré que la vérité n’était pas forcément belle, elle nous laisse au moins un point fixe : nous n’avons plus de temps à perdre.
À défaut d’avoir obtenu une feuille de route mondiale pour sortir des fossiles, nous pouvons dès maintenant accélérer là où nous avons la main : dans les entreprises, les territoires, les filières. Et faire en sorte que nos forêts, nos sols et nos systèmes agricoles restent nos meilleurs alliés pour contenir, autant que possible, cette vérité climatique qui s’écrit chaque année un peu plus.