La filière CRC® : décryptage et perspectives d’un pari déjà réussi

30 octobre 2025

- par
Alexis

Depuis plusieurs années, les consommateurs recherchent davantage de traçabilité dans leurs achats et de durabilité dans les filières alimentaires. Cette attente a fait émerger une multitude de labels et certifications en agriculture — dynamique renforcée par la crise du Covid-19 — venant compléter les signes de qualité historiques (AOP, IGP, Label Rouge, AB, etc.).

Parmi ces initiatives, un label s’est peu à peu imposé : la Filière Culture Raisonnée Contrôlée® (CRC®). Créée il y a plus de 25 ans, cette démarche valorise des céréales « 100% françaises, avec des pratiques agricoles favorables à l’environnement, en favorisant une juste rémunération des agriculteurs » (Ministère de l'Agriculture).

Décryptage et perspectives autour de cette filière engagée pour une agriculture durable et exigeante.

Logo de la filière CRC® (source : Filière CRC®)
Logo de la filière CRC® (source : Filière CRC®)

1. D’un groupe d’agriculteurs engagés à la naissance d’une filière

Au début des années 1990, un groupe d'agriculteurs bourguignons décide de se rassembler pour promouvoir des pratiques agricoles plus responsables. Dix ans plus tard, en 2000, l’initiative se transforme en une véritable filière structurée autour de quatre maillons : coopératives et négoces (organismes stockeurs), meuniers, industriels et distributeurs.

Aujourd’hui, la filière CRC® fédère 3 500 agriculteurs, 34 organismes stockeurs, 5 000 boulangers et 6 enseignes de distribution, réunis autour de quatre engagements clés :

• Céréales 100 % françaises

• Culture raisonnée (gestion raisonnée des traitements, de l’irrigation et de la fertilité, sans traitement après récolte)

• Pratiques favorables à la biodiversité

• Juste rémunération des agriculteurs

La filière CRC® repose aujourd’hui quasi exclusivement sur le blé tendre (99 % de la production), avec un développement marginal sur le blé dur et le seigle. Des filières existent également pour le sarrasin et le grand épeautre, même si aucune surface n’a été récoltée cette année sous cahier des charges CRC®.

Blé tendre (source : ReSoil)
Blé tendre (source : ReSoil)

2. Les céréales CRC® : un engagement environnemental, sanitaire et économique

Depuis 1999, la Filière CRC® s’appuie sur plusieurs cahiers des charges spécifiques à chacune des cinq céréales concernées. Ces référentiels sont reconnus par le ministère de l’Agriculture via une certification de conformité produit, et leur application est auditée par Bureau Veritas Certification, organisme indépendant chargé de valider la démarche.

S’engager dans la filière CRC®, c’est respecter un ensemble d’exigences rigoureuses :

Usage strictement raisonné des pesticides

Seuls certains produits sont autorisés, à des périodes limitées, afin de préserver la faune sauvage et la santé humaine. Par exemple, aucun traitement n’est autorisé dans les 40 jours précédant la récolte, et les grains sont stockés sans insecticides, grâce à une ventilation naturelle. Le glyphosate est interdit dans la filière CRC®.

Protection de la biodiversité locale

Les pratiques de culture et de récolte doivent favoriser le maintien d’espèces sensibles et encourager les auxiliaires des cultures — comme les coccinelles — essentielles à la régulation naturelle des ravageurs.

Gestion raisonnée de l’eau et de la fertilisation

L’irrigation et les apports d’engrais sont pilotés grâce à des outils d’aide à la décision et des analyses, afin d'assurer des doses adaptées et d'éviter tout gaspillage.

Préservation de la qualité de l’eau

Tous les points d’eau à proximité des parcelles doivent être protégés par des bandes enherbées, agissant comme zones tampons naturelles.

Montée en compétences et gestion durable des sols

Les agriculteurs suivent des formations et s’engagent dans une démarche de préservation de la fertilité des sols. Même si aucun critère officiel sur les émissions ou le stockage de carbone n’est encore inclus dans le cahier des charges, la filière favorise des pratiques agronomiques allant dans ce sens.

Les principales normes du cahier des charges blé tendre CRC® (Source : filière CRC®, ReSoil)
Les principales normes du cahier des charges blé tendre CRC® (Source : filière CRC®, ReSoil)

En complément de ce cahier des charges, chaque exploitation engagée dans la filière doit être certifiée Haute Valeur Environnementale de niveau 2 (HVE2), fondée sur quatre thématiques : biodiversité, stratégie phytosanitaire, gestion de la fertilisation et gestion de la ressource en eau.

Mais alors, comment la conformité est-elle vérifiée ? Quels contrôles garantissent la fiabilité de la filière ?

Des vérifications sont réalisées à plusieurs étapes clés de la chaîne de production :

Au champ

Les agriculteurs sont accompagnés par les technico-commerciaux des organisations stockeuses partenaires, avec quatre visites obligatoires par an. Par ailleurs, un organisme indépendant peut intervenir à tout moment : environ 10 % des exploitations sont auditées chaque année. Ces contrôles permettent de vérifier les pratiques et la conformité des productions.

Au stockage

Chaque silo est contrôlé avant et durant le stockage afin de détecter d’éventuels contaminants. Tout lot non conforme est immédiatement déclassé, garantissant un strict respect des normes qualité.

À la transformation

Des analyses (résidus d’insecticides, mycotoxines, métaux lourds) sont réalisées au minimum une fois par an sur les farines, accompagnées d’un audit de l’outil industriel.

Les contrôles et analyses au cours de la production de céréales CRC® (source : Filière CRC®, ReSoil)
Les contrôles et analyses au cours de la production de céréales CRC® (source : Filière CRC®, ReSoil)

Grâce à cette surveillance rigoureuse tout au long de la filière, la CRC® assure une traçabilité complète et une qualité maîtrisée à chaque étape, du champ au produit final.

La Filière CRC® revendique ainsi une double ambition : être bonne pour l’Homme et bonne pour la Nature. Dans cette logique, elle a défini 12 enjeux prioritaires dans le cadre de sa démarche de Responsabilité Sociétale de la Filière (RSF), véritable feuille de route collective comparable à une démarche RSE d’entreprise, afin d’aligner l’ensemble de ses partenaires sur des objectifs clairs et mesurables.

Les 12 enjeux identifiés dans le cadre de la RSF (source : Filière CRC®)
Les 12 enjeux identifiés dans le cadre de la RSF (source : Filière CRC®)

Une contribution à la transition agricole via une meilleure rémunération

La filière CRC® se revendique durable non seulement par ses engagements environnementaux, mais aussi par son modèle économique. Elle reconnaît que la transition agricole ne peut se faire sans rémunérer équitablement les agriculteurs qui adoptent des pratiques plus exigeantes.

Ainsi, en 2025 les meuniers s’engagent à verser une prime de 30 €/t de blé aux organismes stockeurs, prime qui est ensuite partagée avec les producteurs. Avant une hausse en 2023, la prime était de 21 €/t, dont 12 à 15 €/t revenaient effectivement aux agriculteurs. Cela représentait déjà un bonus de 5 à 8 % par rapport au prix moyen du blé meunier sur les marchés internationaux (environ 200 €/t).

En 2025, la filière prévoit de reverser 16 millions d’euros aux agriculteurs fournisseurs, renforçant ainsi la dimension économique de son engagement.

En valorisant financièrement les pratiques agronomiques responsables, la filière CRC® soutient concrètement la transition vers des systèmes de production plus durables — et démontre qu’une meilleure rémunération est un levier essentiel du changement agricole.

3. Panorama de la production CRC®

Même si la filière CRC® occupe encore une place limitée dans le paysage céréalier français, elle s’impose déjà comme la première certification de qualité pour la farine, devant le Label Rouge et l’Agriculture Biologique. À noter : une grande partie des farines Label Rouge proviennent de blés certifiés CRC®, illustrant son rôle clé dans le segment premium.

Répartition en volume des farines françaises selon différents labels (source : FranceAgriMer, PAQ, CRC)

Si l’année 2024 avait été particulièrement difficile — à l’image de la production céréalière française — l’année 2025 marque un rebond significatif. La filière annonce 570 000 t de céréales collectées, dont 550 000 t certifiées : une hausse de 32 % par rapport à 2024, principalement liée à de meilleures conditions climatiques. Cela représente l’équivalent de la consommation de pain de 11 millions de Français.

Depuis sa création, la dynamique est remarquable : la production a triplé entre 2013 et 2023, avant de se stabiliser récemment. La filière rassemble désormais environ 3 000 agriculteurs (après un pic à 3 500 en 2023). En 2015, seuls 36 000 ha étaient engagés pour environ 250 000 t de blé. Aujourd’hui, la production atteint près de 600 000 t selon les années et représente environ 10 % du blé écrasé en meunerie en France.

Evolution de la production céréalière et de la prime filière CRC® (Source : GIE CRC, ReSoil)
Evolution de la production céréalière et de la prime filière CRC® (Source : GIE CRC, ReSoil)

Evolution des surfaces et des rendements en céréales CRC® (Source : GIE CRC, ReSoil)
Evolution des surfaces et des rendements en céréales CRC® (Source : GIE CRC, ReSoil)

Cette progression chiffrée démontre la capacité de la filière à se structurer, monter en volume et convaincre — aussi bien les producteurs que les acteurs aval de la chaîne alimentaire — grâce à une promesse simple : des céréales françaises, tracées, durables et justement rémunérées.

L'évolution en chiffres de la filière CRC® en 10 ans (Source : Communiqué de presse filière CRC®)
L'évolution en chiffres de la filière CRC® en 10 ans (Source : Communiqué de presse filière CRC®)

Avec un rendement moyen d’environ 60 q/ha, la filière CRC® se situe en dessous de la moyenne nationale, établie autour de 73 q/ha. Ce différentiel ne s’explique pas par une baisse liée à la réduction des intrants phytosanitaires, mais avant tout par un ancrage territorial spécifique. En effet, les agriculteurs CRC® sont majoritairement implantés dans des zones où le potentiel agronomique est naturellement plus faible (sols moins profonds, contraintes climatiques…).

Dans ces territoires, rejoindre la filière CRC® apparaît comme un choix stratégique : les pratiques demandées n’entraînent pas de perte supplémentaire de rendement, tandis que la valorisation économique est plus intéressante. Autrement dit, la filière permet d’augmenter le revenu sans pénaliser la performance agronomique, en s’appuyant sur un cahier des charges compatible avec les réalités locales.

Quels clients ?

Aujourd’hui, la filière CRC® travaille avec 27 groupes industriels (dont Grands Moulins de Paris, La Biscuiterie de l’Abbaye, Gerblé…) ainsi qu’avec 6 enseignes de distribution.

Parmi ses partenaires emblématiques, McDonald’s s’est engagé dès 2019 : 100 % des pains à burgers servis en France sont élaborés à partir de blé certifié CRC®. Ce partenariat illustre la capacité de la filière à répondre à des volumes importants tout en garantissant traçabilité, qualité et origine française.

4. Quelles limites et quelles perspectives pour la filière ?

Aux côtés de 4 autres initiatives comme Bleu-Blanc-Cœur ou Vignerons Engagés, la filière CRC® est co-fondatrice du Collectif de la Troisième Voie, qui promeut une agriculture responsable, performante et durable.

Si la filière CRC® ne certifie aujourd’hui que les céréales, cette démarche collective traduit une ambition plus large : entraîner d’autres filières agricoles dans cette dynamique de durabilité et de juste rémunération.

Pour la filière CRC, l’objectif, à terme, est de développer des cahiers des charges pour de nouvelles cultures (comme le colza ou le pois chiche) afin de pouvoir certifier l’intégralité d’une exploitation, et non plus seulement les parcelles dédiées aux céréales.

Cette diversification vise également un enjeu clé : permettre la certification complète d’un produit alimentaire. Aujourd’hui, un gâteau ne peut pas être certifié CRC®, car ses autres ingrédients (œufs, beurre, lait…) ne répondent pas encore au cahier des charges. Cette limite de ne pouvoir certifier qu’une partie du produit peut freiner la reconnaissance du label auprès du consommateur, même si la filière communique activement sur l’origine CRC® du blé ou de la farine.

En élargissant son périmètre, la filière se donne donc les moyens de répondre à une attente croissante : offrir des produits finis cohérents et totalement traçables, du champ au rayon.

Dans la continuité de sa démarche de transparence, la filière a lancé en 2022 l’application Traça Blé, outil de traçabilité permettant de suivre le parcours du grain depuis le champ jusqu’à la baguette. En scannant un QR code, le consommateur peut accéder à l’ensemble des informations : lieu de production du blé, organisme stockeur, meunier, et jusqu’au lieu de fabrication du pain. À terme, un score environnemental pourrait compléter cet outil pour renforcer encore la lisibilité des pratiques.

Et le carbone dans tout ça ?

À ce jour, la filière CRC® ne comporte pas de critères spécifiques sur les émissions de gaz à effet de serre ou le stockage de carbone dans les sols. Pour autant, les agriculteurs engagés dans la démarche sont souvent parmi les plus volontaires sur les pratiques agroécologiques et la réduction de l’empreinte carbone de leur ferme.

Sur ce point, la filière partage un socle de valeurs avec le Label Bas-Carbone, en particulier :

• l’accompagnement des producteurs dans la transition agroécologique,

• reconnaître et valoriser les efforts environnementaux,

• l’amélioration de la rémunération des agriculteurs.

Travailler de concert entre filière CRC et label Bas-Carbone, combinant bénéfices pour la biodiversité, la santé, le revenu agricole… et le climat : une piste cohérente pour certifier demain des exploitations à la fois bonnes pour la nature, bonnes pour l’humain et bas-carbone.

Dans cette logique de montée en exigence, la filière a lancé en 2021 un cahier des charges « sans résidus de pesticides » sur le blé tendre, assorti d’une prime de 85 €/t. Si deux organismes stockeurs se sont engagés, aucun volume n’a finalement trouvé preneur : un prix trop élevé a vraisemblablement freiné les transformateurs, faute de demande côté consommateurs.

Associer cette démarche à une valorisation carbone pourrait-elle améliorer son adoption ?

Le Label Bas-Carbone partage les valeurs CRC® tout en ajoutant une reconnaissance climatique mesurable. Cette combinaison pourrait constituer un levier de marché et une nouvelle voie de rémunération pour accélérer l’adoption de pratiques agroécologiques ambitieuses.

Conclusion

En un quart de siècle, la Filière Culture Raisonnée Contrôlée® s’est imposée comme l’une des références françaises en matière de qualité, traçabilité et durabilité des céréales. Née de l’initiative d’agriculteurs engagés, elle incarne une voie concrète vers une agriculture de progrès : performante économiquement, exigeante sur l’environnement, juste pour les producteurs et fiable pour les consommateurs.

Si son périmètre continue d’évoluer, les perspectives sont nombreuses et reposent sur un principe essentiel : avancer collectivement, du champ au magasin, pour construire des filières plus durables et mieux valoriser le travail agricole.

À l’heure où les attentes des citoyens augmentent et où l’agriculture fait face à des défis environnementaux majeurs, la filière CRC® représente une voie crédible et structurante pour une production céréalière française à la fois bonne pour l’Homme, bonne pour la Terre, et créatrice de valeur durable.

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