Croissance des rendements agricoles au XXème siècle : l'azote au cœur des cultures

12 avril 2024

par
Yohann

Depuis l’origine de l’agriculture jusqu’au XXème siècle, les céréales et en particulier le blé tendre constituaient la base de l’alimentation des pays européens et du pourtour méditerranéen. Leur capacité de conservation sur plusieurs mois à température ambiante, la qualité de leur apport nutritionnel ainsi que leur résilience au champ face aux aléas climatiques leur ont conféré cette place emblématique dans l’Histoire des Hommes. Les sociétés européennes, méditerranéennes et orientales ont d’ailleurs été continuellement influencées par les variations de leurs productions céréalières.

En France, la hausse spectaculaire du prix du blé en 1789, consécutive à de mauvaises récoltes, est un des facteurs clés du déclenchement d'une série de révoltes conduisant à la Révolution française. Cet élément est d’autant plus compréhensible compte tenu de l’importance du pain dans le budget des ménages à la fin du XVIIIème siècle : 50% au cours d’années normales ! Il est aisé de comprendre dans ces circonstances qu’un doublement ou triplement des prix entrainait de graves troubles sociaux. La volatilité des prix n’a en effet pas attendu la mise en place des marchés financiers des céréales pour affecter les populations. (Source : Le prix du blé à Pontoise en 1789)

Compte tenu de ces éléments, toutes les sociétés ont recherché, autant que possible, à accroître leur productivité pour assurer l’alimentation des populations et écarter les risques de famines.

Voici un aperçu des leviers qui ont été mis en place au cours du XXe siècle pour arriver à une augmentation des rendements agricoles. Nous allons traiter chacun de ces leviers dans la suite de l'article.

Les leviers de la croissance des rendements agricoles au XXe siècle (Source : ReSoil)
Les leviers de la croissance des rendements agricoles au XXe siècle (Source : ReSoil)

Le blé tendre en France depuis la révolution de 1789

Rendement du blé tendre en France depuis 1815 (Source : ENS Lyon)

Au cours du XIXème siècle et jusqu’à la seconde guerre mondiale, le rendement du blé tendre (appelé froment à cette époque) a progressivement augmenté de 7-8 quintaux par hectare (1 quintal = 100kg) à environ 15 quintaux par hectare. La période de la première révolution agricole au XIXème siècle, coïncidant avec la première révolution industrielle, voit le début de l’essor du machinisme avec notamment les premières batteuses. Elles permettaient de battre les épis à la ferme une fois que la moisson manuelle a été réalisée au champ pour en retirer les grains. Cette période est surtout l’avènement de la diversification culturale avec en particulier l’introduction des légumineuses fourragères telles que le trèfle ou le sainfoin (cf. photo ci-dessous). La croissance de ces cultures, couplée à celle des animaux qui les consomment, a entrainé une hausse des apports azotés et de fait des rendements.

Photo de Sainfoin en fleur

Qu’est ce que les apports azotés ?

Ce sont des apports d’azote, nutriment essentiel à la croissance des plantes et 1er facteur de hausse des rendements. Les légumineuses ont la capacité de fixer l’azote de l’air pour le restituer sous forme assimilable par les plantes dans le sol. De nos jours, le besoin en azote est d’ailleurs exprimé en kg d’azote par quintal produit. Autrement dit, le rendement est directement corrélé à la quantité d’azote disponible pour la plante. A titre d’exemple, il faut en moyenne 3kg d’azote pour produire 1 quintal de blé tendre avec nos variétés actuelles.

La recherche variétale et les engrais de synthèse au cœur de la hausse des rendements

A partir des années 50, l’apport d’azote ne se fait plus seulement via les légumineuses et les effluents d’élevage mais via les engrais de synthèse. Le procédé Haber-Bosch, mis en place en 1913, permet de transformer l’azote atmosphérique (N2) en ammoniac (NH3), en le faisant réagir avec de l’Hydrogène. L’ammoniac qui en est issu subit une série de transformations permettant de produire de l’azote de synthèse sous forme solide ou liquide. L’emploi massif de ces engrais s’opère de manière exponentiel à partir des années 50.

Photo d'engrais azoté de synthèse (Source : le Figaro)

L’usage de ces engrais azotés de synthèse n'a pas été immédiat pour de 2 raisons principales. La première est économique. Ces engrais engendrent des coûts pour les exploitations agricoles. Il a fallu la mise en place du plan Marshall pour favoriser l’achat massif d’engrais azotés de synthèse dont le procédé industriel est devenu productif.

La seconde est d’ordre agronomique. L’apport conséquent d’azote ne pouvait être effectué sur les variétés traditionnelles. En effet, un surplus d’azote n’entrainait pas uniquement une croissance du nombre de grains mais aussi et surtout des tiges. Une trop forte hauteur des tiges des céréales à paille entraine le phénomène de verse (cf. image ci-dessous).

Photo de blé tendre versé (Source : Arvalis)

Cela signifie que les céréales se couchent sur le sol, les tiges se plient à la base du pied entrainant la réduction voire l'arrêt de l’alimentation de la plante. Plus une variété est haute et plus le risque de verse mécanique est accru, l’épi de blé faisant office de levier en haut de la tige.

C’est la raison pour laquelle la recherche de variétés de pailles courtes et valorisant l’azote pour la production de grain et non de paille a été fondamental dans la hausse des rendements. Les sélectionneurs occidentaux, et en particulier italiens et américains, se sont tournés au début du XXème siècle vers des croisements avec des variétés d’Asie de l’Est, en particulier japonaises car elles étaient les seules au monde à présenter le caractère de « nanisme » indispensable à la lutte contre la verse des céréales. Le ratio grains/pailles des céréales est ainsi passé de 35% dans les années 1920 à 50% dans les années 90.

La croissance des rendements des céréales et en particulier du blé tendre devient ainsi fulgurante à partir des années 50 où les nouvelles variétés sont capables de valoriser cet apport massif d’azote. D’autres éléments sont entrés en ligne de compte telles que l'apport d'engrais phosphatés et potassiques qui assurent la nutrition des plantes indispensable à la valorisation de fortes doses d'azote. Ces engrais, contrairement à l’azote, ne sont pas d’origine atmosphérique mais d’origine minière. La Biélorussie et la Russie concentrent les principales ressources européennes de Potassium tandis que le Phosphore provient principalement du Maroc et de Russie dans une moindre mesure.

Les rendements sont ainsi passés de 10 quintaux par hectare en moyenne dans les années 50 à 70 quintaux par hectare au début des années 2000. Alors que la croissance des productions céréalières étaient historiquement liée à l'augmentation des surfaces depuis la sédentarisation des Hommes, la révolution agricole de la seconde moitié du XXIème siècle a complètement renversé le paradigme agricole. La production de blé tendre en France a atteint depuis les années 2000 un pic de production alors que les surfaces de cette céréale sont nettement inférieures à celles de la fin du XIXème siècle : moins de 5Mha contre 7Mha.

Evolution de la production et des surfaces en blé tendre en France depuis 1815 (Source : Le Blé, éditions France Agricole)

Les produits phytosanitaires appelés communément pesticides

Cette hausse fulgurante des rendements n’est pas sans conséquences. Les maladies, ravageurs et concurrents des céréales s’exprimaient d’autant plus que leur productivité augmentait.

Les forts apports d’azote au champ ont pour objectif d’augmenter les rendements mais favorisent également la croissance des adventices de culture (appelés anciennement « mauvaises herbes »). Ces espèces végétales non désirées concurrencent d’autant plus les cultures qu’elles se multiplient au fil des années par dissémination des graines produites. Pour lutter contre ces adventices gourmandes en azote, les herbicides sont apparus. Ils peuvent avoir une action de contact (absorption par les feuilles) ou racinaire (absorption par les racines) entrainant la destruction des adventices. Les herbicides sont principalement épandus sur la culture en place puisque les adventices peuvent être détruite mécaniquement en dehors de la période de culture. Ce type de produit est plus ou moins sélectif, c’est-à-dire qu’ils peuvent avoir une action sur une famille végétale complète ou seulement sur une espèce particulière.

Exemple d’un champ de blé tendre concurrencé par des vulpins (épis fins et plus élevés que le blé) (source : Arvalis)

La croissance des céréales a également entrainé une hausse de la biomasse. L’exploitation des sols est ainsi maximale, le développement végétatif se concentre sur la hauteur réduite des nouvelles variétés et diminue ainsi la circulation de l’air. Ce phénomène favorise un environnement humide et de fait un développement accru des maladies fongiques (champignons). A titre d’exemple, la septoriose (photo ci-dessous), principale maladie fongique du blé tendre, peut occasionner des pertes de rendement de 15 à 50 quintaux par hectare selon les conditions et la résistance des variétés (source : FSOV). De plus, les variétés ont longtemps été sélectionnées à partir des années 50 sur leur capacité à valoriser l’azote pour augmenter les rendements sans accorder de une importance notable aux résistances aux maladies. Les fongicides se sont ainsi développés pour lutter contre les champignons pathogènes des cultures. Depuis le début des années 2000, la recherche variétale s'est complètement tourné vers la mise en place de variétés résistantes aux maladies favorisant la réduction de l'emploi des fongicides.

Photo d'une feuille de blé tendre affecté par la septoriose (Source : Arvalis)

Il existe d’autres type de produits phytosanitaires telles que :

  • Les insecticides pour lutter contre les insectes ravageurs de cultures. Dans certains cas, les larves consomment les graines ou la tige. Dans d’autres cas, les insectes ont la capacité de transmettre des virus aux plantes en piquant les plantes pour sucer la sève et ainsi contaminer les plantes de l’intérieur.
  • Les molluscicides qui ont pour cible les mollusques, principalement les limaces qui détruisent les plantes au cours des premières étapes de leur croissance.

Les produits phytosanitaires ont ainsi vocation à préserver le potentiel de rendement des cultures, permis par les engrais et les variétés productrices. Les conditions climatiques peuvent plus ou moins favoriser les maladies et menacer de fait une partie très variable de la production. Elles peuvent également avoir comme objectif de préserver la qualité sanitaire des graines face aux contaminants naturels nocifs pour la santé telles que les toxines de champignon.

Cependant, l’usage de ces produits ont eu des conséquences importantes sur la biodiversité des campagnes, en particulier certains produits phytosanitaires employés avant les années 2000 qui peuvent aujourd’hui encore persister dans l’environnement.

Le machinisme agricole, élément de la productivité des campagnes

Le moteur à combustion a fait exploser la productivité du travail à partir des années 50 non seulement en permettant de réaliser une opération culturale (labour, semis, fertilisation …) en un temps record pour l’époque mais également en supprimant le travail lié à l’entretien de la force motrice historique : les chevaux de traits et les bœufs. Une énergie en remplaçant une autre, le pétrole a fait disparaitre la traction animale. La pratique attelée aura durée ainsi plus de 2000 ans pour s’éteindre au cours de la seconde moitié du XXème siècle à l’exception de quelques hectares de vigne.

Evolution des cheptels d'animaux de trait (Source : Harchaoui et Chatzimpiros)

Ce phénomène a également entrainé la libération de terres initialement destinées à alimenter la traction animale. Les surfaces d’avoine, céréale destinée aux chevaux de traits, représentaient 45% des surfaces céréalières en 1929 contre 5% en 1983 ! Il en est de même pour les surfaces en légumineuses fourragères dont l’intérêt s’était fortement réduit compte tenu de la baisse de la traction animale et de l’usage facilité des engrais azotés de synthèse.

Le nombre de travailleurs nécessaires sur les exploitations agricoles a ainsi drastiquement baissé en remplaçant les chevaux de traits par les chevaux moteur. L’avoine, les foins d’herbe, de trèfle et de sainfoin nourrissant les animaux de traits ont été remplacés par le pétrole alimentant les tracteurs. Ce concentré d’énergie a considérablement augmenté la surface exploitable par un seul homme comme le montre la figure ci-dessous.

Surface exploitable par un seul travailleur en fonction de la force motrice (Source : Mazoyer et Roudard)

La mécanisation a également permis de régulariser le travail du sol et les semis grâce à des outils plus précis et permettant d’intervenir rapidement en se concentrant sur les créneaux météorologiques favorables aux opérations culturales. L’épandage des engrais de synthèse et des produits phytosanitaires, d’abord réalisé manuellement par les agriculteurs jusque dans les années 60-70, est devenu progressivement plus homogène et régulier. La régularité et la précision des interventions au champ sont également des facteurs importants de réussite des hauts rendements.

Quel avenir pour la productivité agricole ?

L’explosion des rendements entre 1950 et les années 2000 a permis à la société française de baisser drastiquement la part de son budget moyen alloué à l’alimentation avec l’abaissement du coût de l’alimentation. Cette part est en effet passé de 40% environ dans les années 50 à environ 15% de nos jours. La part allouée aux produits agricoles bruts s’est même encore plus amoindri étant donné que dans les années 50 la population achetait en majorité des produits agricoles bruts pour être cuisinés sur le lieu de consommation tandis que de nos jours la part des produits transformés est beaucoup plus importante.

Néanmoins, la hausse fulgurante des rendements agricoles, permettant aux populations de s’émanciper du poids de l’alimentation dans leur budget, s’est faite au détriment de l’environnement. Les engrais azotés de synthèse représentent plus de 80% des émissions de Gaz à Effet de Serre au champ (émissions issues de l'épandage et émissions à la production incluse) et participent grandement au réchauffement climatique global : environ 15% des émissions agricoles mondiales qui représentent elles-mêmes 15% des émissions mondiales. En France, ce ratio est encore plus important avec 40% des émissions agricoles qui représentent elles-mêmes 20% des émissions nationales totales.

De plus, les produits phytosanitaires constituent une des principales raisons de l’érosion de la biodiversité dans le monde (la 4ème selon l’IPBES). Leur emploi a certes permis « l’assurance » de hauts rendements face aux maladies, adventices et ravageurs des cultures mais leur réduction est devenue plus que jamais un objectif stratégique.

Pour autant, un arrêt immédiat de l’usage des engrais azotés de synthèse et des produits de protection des cultures entrainerait une chute drastique de la production agricole mondiale. En France, les rendements en blé tendre seraient, a minima, divisé par 2 et de fait la production nationale également à surfaces constantes. Pour maintenir la production nationale, il faudrait ainsi deux fois plus de surfaces agricoles.

Il ne faut pas oublier que la mise en culture de zones naturelles reste une artificialisation des sols, certes moins impactante que les surfaces bétonnées, mais ayant de fortes conséquences environnementales. D’un côté, l’artificialisation des sols expliquerait 30% des impacts sur la biodiversité au niveau mondial. D’un autre côté, une surface agricole (hors prairies) stocke 40% de carbone en moins que des forêts.

Si la production alimentaire végétale est incompressible, que faire ?

Les leviers permettant de réduire l’usage des produits phytosanitaires ont déjà été évoqués dans un article précédent.

Dans le cas des engrais azotés de synthèse, trois leviers apparaissent pour réduire l’empreinte carbone de leur usage tout en maintenant le niveau de productivité :

  • Un nouveau développement des légumineuses fourragères qui viendrait les remettre au centre des systèmes culturaux. Leur production emblématique au XIXème siècle et au début du XXème siècle serait ainsi remise au goût du jour mais en prenant en compte les méthodes culturales actuelles. L’implantation de légumineuses fourragères peut s’opérer en culture principale, en culture relais déjà implanté, sous couvert de méteil ou en couvert permanent.
  • L’optimisation de l’épandage de la fertilisation azotée pour limiter les pertes par volatilisation.
  • Tous les engrais de synthèse n’émettent pas la même quantité de protoxyde d’azote, Gaz à Effet Serre (GES) très puissant issu de son épandage. Il conviendrait ainsi de généraliser l’emploi des formes les moins émettrices.
  • La valorisation maximale et le traitement adéquat des effluents organiques, qu’ils soient d’origine animale ou humaine.
  • La production des engrais azotés de synthèse se réalise à partir d’hydrogène, elle-même produite à plus de 90% par du méthane fossile. De ce fait, la production représente 1/3 de l’empreinte carbone de son usage, tandis que les émissions à la suite de son épandage en représentent 2/3. La production d’engrais azotés de synthèse à partir d’hydrogène dont la production est décarbonée permettrait de réduire d’1/3 les émissions associées.
  • L’usage de variétés valorisant de manière efficace l’azote présente dans le sol

De manière générale, il convient également de diminuer la part des cultures gourmandes en intrants de synthèse. La diversification des cultures entraine nécessairement une baisse de la part des céréales, cultures les plus gourmandes en azote. L’introduction de culture peu consommatrices (légumes secs, tournesol, sarrasin, millet) dépend néanmoins de leur potentiel de valorisation économique.

Chez ReSoil, nous travaillons avec les agriculteurs pour réduire les émissions de GES, directes et indirectes, liées aux engrais azotés grâce aux 4 premiers leviers évoqués ci-dessus. Découvrez la carte des nos projets de nos agriculteurs et agricultrices partenaires.

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