Impact des pesticides sur la biodiversité et leviers d’action pour réduire leurs usages

17 novembre 2023

par
Yohann
Exemple d'aménagement paysagé favorable à la biodiversité
Exemple d'aménagement paysagé favorable à la biodiversité

Avant toute chose, qu’est-ce que la biodiversité ? « La biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux. » (OFB) [L]. Grossièrement, il s’agit de quantifier tout ce qui est vivant sur un territoire (en opposition à tout ce qui est minéral) et d’en évaluer les relations (évolution des interactions de prédation, de symbiose ou de parasitisme par exemples).

La préservation et le redressement de la biodiversité est au cœur des enjeux du XXIème siècle. L’érosion de la diversité du vivant est multi-factorielle dont l’importance de chaque cause est difficile à quantifier.

En mai 2019, l'IPBES (la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) a rendu sa première évaluation sur la biodiversité à l'échelle de la planète. Elle a établi et pondéré 5 grandes causes :

1. La destruction et l’artificialisation des milieux naturels – 30% des impacts

  • Forêt primaire transformée en culture ou pâture
  • Pâture ou culture transformée en axe de transport, en zone industrielle ou zone urbaine
  • Mine creusée à ciel ouvert

2. La surexploitation des ressources naturelles – 23% des impacts

3. Le changement climatique global – 14% des impacts

4. Les pollutions des milieux naturels (polluants organiques et minéraux, intensité lumineuse et sonore) – 14% des impacts

5. L’introduction d’espèces exotiques envahissantes – 11% des impacts

Où se positionne l’agriculture à travers ces différentes causes d’érosion de la biodiversité ?

L’agriculture est concernée par la 1ère et la 4ème cause mentionnées ci-dessus. Par nature, les réserves naturelles (forêt primaire dans le cas de l’IPBES) sont davantage favorables à la biodiversité que les zones cultivées qui elles-mêmes sont plus propices au vivant que les zones « bétonnées ». Par conséquent, les zones urbaines et axes de communication doivent être contenues au profit des zones cultivées ou semi-naturelles qui elles-mêmes ne doivent pas s’étendre au détriment des zones naturelles pour, a minima, ne pas amplifier la première cause d’érosion de la biodiversité.

Le maintien de la surface agricole nationale, voire une baisse au profit des zones naturelles, dépend de la productivité agricole. En effet, une baisse significative de la productivité nécessiterait mécaniquement une hausse des surfaces pour maintenir le niveau de production alimentaire global. La hausse de la population mondiale ne laisse pas d’autre option humainement viable.

C’est à partir de ce point que le sujet se complexifie. Le maintien de la productivité nécessitait jusqu’à présent l’emploi massif d’engrais de synthèse pour assurer des hauts rendements et l’usage de produits phytosanitaires (aussi appelés Produits Phyto Pharmaceutiques - PPP - ou plus communément pesticides) pour ne pas perdre ces potentiels de productivité. Ces produits assurent, par définition, la protection des cultures face à la compétition des adventices (couramment appelées mauvaises herbes dont la lutte s’opère par les herbicides) mais aussi des attaques des maladies (lutte par les fongicides pour les champignons) et des ravageurs (lutte par les insecticides pour les insectes et molluscicides pour les limaces).

Evolution de l'abondance des populations d'oiseaux communs spécialistes en France métropolitaine
Source : Direction de l’information légale et administrative

Or, les produits phytosanitaires font partie de la 4ème cause d’érosion de la biodiversité au niveau mondial. Leur réduction mais aussi la gestion de leur dégradation est indispensable pour limiter au maximum leur impact sur la biodiversité. La baisse du nombre et de la diversité des espèces est la plus forte dans les espaces agricoles. A titre d’exemple entre 1989 et 2018, environ 55% des populations d’oiseaux communs spécialistes ont perdu en abondance dans les milieux agricoles, 35% dans les milieux bâtis et 15% dans les milieux forestiers.

Tous les produits phytosanitaires (aussi appelés pesticides) ont-ils le même impact sur la biodiversité ?

Pour les herbicides, les effets directs sur la biodiversité concernent la réduction de la diversité végétale (des plantes supérieures aux lichens et microalgues) au sein et en bordure des parcelles mais aussi dans les milieux aquatiques. En effet, beaucoup de molécules de ce groupe de produits sont hydrophiles (soluble dans l’eau) et se retrouvent dans les milieux aquatiques par ruissellement ou infiltration puis résurgence dans un cours d’eau jusqu’aux côtes maritimes. La réduction de leur usage couplée à des conditions favorables à leur dégradation et au ralentissement de leur transfert par l’eau permettrait de fortement réduire l’impact de ces produits. Indirectement, les herbicides jouent sur la disponibilité en aliments pour les organismes consommateurs de végétaux et de graines d’adventices. Sur ce point, le débat porte sur l’acceptation ou non de la présence d’une flore adventice au sein de la culture.

Faut-il accepter une légère concurrence à la parcelle d’espèces végétales non cultivées ? Le sujet ne porte pas seulement sur la concurrence avec la culture en place mais aussi sur la concurrence exponentielle les années suivantes du fait de la grenaison des adventices. Par exemple, un pied de rumex (en rouge sur la photo ci-dessous) peut produire de 300 à 6000 graines soit autant de plantes potentielles les années suivantes ! De plus, les graines d’adventices conservent leur capacité à germer de quelques années à plusieurs dizaines d’années. D’un point de vue pratique, la préservation de la diversité végétale devrait davantage s’opérer en bordure qu’au sein des parcelles cultivées. Le potentiel de concurrence des adventices fait porter trop de risque de baisse de production pour être viable à grande échelle.

Rumex
Photo d'un rumex (adventice)

De manière générale, les herbicides affichent une toxicité nettement moindre que les insecticides et fongicides. Dans le cas de la faune du sol, « les insecticides peuvent être plus toxiques que les herbicides et particulièrement pour les vers de terre et arthropodes du sol. Les fongicides sont encore plus toxiques » [D]. Concernant les oiseaux, l’impact résulte principalement soit d’un effet direct (ex. ingestion de semences traitées par une substance active de PPP) par des oiseaux granivores ou ingestion d’appâts contaminés par des rapaces), soit d’un effet indirect (ex. diminution de la ressource alimentaire à la suite du déclin des proies ou intoxication à la suite de la consommation de proies contaminées par certains PPP). Pour les oiseaux granivores, les cas répertoriés depuis le début des années 2000 sont très majoritairement causés par l’ingestion de semences traitées avec des insecticides néonicotinoïdes (surtout l’imidaclopride, interdit depuis 2020), plus rarement avec d’autres molécules comme des fongicides (thirame, interdit depuis 2018). Pour les oiseaux insectivores, l’impact des PPP s’exprime principalement de manière indirecte, à travers le déclin de leurs ressources alimentaires.

A ce jour, les insecticides les plus néfastes ont été interdits. Seules quelques pyréthrinoïdes, dérivés de synthèse des pyrèthrines (substances naturelles extraites du Pyrèthre de Dalmatie, espèce végétale), sont toujours autorisées. Les effets des produits actuels, de toxicité moindre, conservent tout une même des effets indirects significatifs. Parmi ces effets, la réduction des ressources alimentaires et des habitats en sont les principaux. De plus, les rapports de compétition entre espèces sont déséquilibrés et influencent l’évolution des populations.

Compte tenu de ces éléments, le stratégie biodiversité du programme de la Commission Européenne de la Fourche à la Fourchette (« Farm to Fork »), déclinaison agricole du Pacte Vert (« Green Deal »), fixait un objectif de réduction de 50% de l’usage des PPP à horizon 2025. La proposition de loi de la Commission européenne ménage une fourchette comprise entre -35% et -60% selon l’intensité des usages à définir par les Etats membres eux-mêmes. Au niveau français, ce programme s’est décliné à travers le plan Écophyto II+ qui conserve le cap des -50%.

Comment se mesure le niveau des traitements de produits phytopharmaceutiques (PPP) ?

L'Indicateur de Fréquence de Traitements phytosanitaires (IFT) est le principal indicateur de suivi de l'utilisation des PPP. L’IFT comptabilise le nombre de doses de référence utilisées par hectare au cours d’une campagne culturale. Il permet de suivre l’évolution de l’usage des PPP. Sa valeur varie fortement entre les espèces cultivées (graphique ci-dessous).

IFT par culture - Source : Agreste

Les vergers sont les cultures les plus concernées par les traitements insecticides et fongicides. En grandes cultures, la pomme de terre est la principale culture consommatrice de fongicide avec un IFT fongicide de 12,6 tandis que la betterave sucrière est la principale espèce consommatrice d’herbicide à l’échelle nationale. Les céréales à paille (blé, orge, triticale) concentrent l’essentiel des usages fongicides en grandes cultures (IFT fongicide moyen de 2,4) en dehors de la pomme de terre tandis que le colza nécessite davantage d’interventions insecticides (IFT insecticide moyen de 2,4). En dehors de la betterave sucrière et de la pomme de terre,  l’IFT herbicide moyen oscille entre 2 et 3 en grande culture.

Surface alloué à chaque culture - grandes cultures et vergers
SAU moyenne en France par culture - Source : Agreste

Les vergers (ex : pêches, pommes, prunes, cerises) consomment le plus de produits phytopharmaceutiques mais leurs impacts restent très localisés compte tenu des faibles surfaces qu’ils représentent (graphique ci-dessus).

Afin d’aboutir à un effet positif de la réduction des PPP, le contexte territorial doit être pris en compte. A l’échelle nationale, les cultures occupant la plus grande part du territoire national doivent être la principale cible.

Le blé tendre, l’orge et le colza devraient regrouper les principaux efforts de réduction des PPP de par l’étendue de leur culture. Le tournesol, le maïs et le soja affichent des consommations de produits phytosanitaires beaucoup plus réduites et concernent quasi exclusivement les herbicides. Néanmoins, le contexte local peut rebattre les cartes des efforts à fournir. Par exemple, la part des pommes de terre et des betteraves peut être beaucoup plus importante dans leurs zones de production. Compte tenu de l’importance de leur IFT, les efforts à fournir pour la réduction de leurs usages deviendraient prioritaires pour ces cultures dans les régions spécialisées.

Quels sont les leviers permettant de réduire l’usage des produits phytosanitaires en grandes cultures ?

La réduction de l’usage des produits phytosanitaires passera systématiquement par la mise en place de plusieurs leviers pour lutter, directement ou indirectement, contre les organismes concurrents et ravageurs cibles. Le raisonnement de lutte doit passer d’un système simplifié avec une solution pour un problème à une combinaison de leviers pour un organisme nuisible à la culture en place.

Les caractéristiques variétales des espèces cultivées

Le levier principalement évoqué dans le milieu agricole pour abaisser l’usage des produits phytosanitaires concerne la recherche variétale. En effet, les nouvelles variétés possèdent des caractéristiques de plus grande résistance/tolérance aux organismes défavorables. Néanmoins, ce levier concerne principalement les espèces les plus répandues telles que le blé tendre et l’orge fourragère. Les cultures faiblement emblavées en France (féverole, lentille, pois en tout genre, orge brassicole, blé dur …) représentent mécaniquement peu de semences achetées auprès des semenciers (obtenteurs de semence) et, de fait, un retour sur investissement limité ne permettant pas d’engager des programmes de recherche aussi conséquents que pour les principales cultures. Le levier variétal est ainsi d’autant plus fort que les surfaces des espèces concernées sont importantes.

La diversification des espèces cultivées

Cette diversification induit l’allongement de la rotation culturale par l’intégration de nouvelles cultures adaptées au contexte parcellaire. Une plus grande diversité d’espèces cultivées permet de casser le cycle des maladies et des ravageurs (ex : favoriser les successions de cultures de printemps pour les parcelles à fort salissement en vulpin et ray-grass). L’introduction de nouvelles espèces peut être adoptée par les exploitations sous réserve d’une rentabilité suffisante de ces dernières.

Le développement des couverts végétaux

Photo d'un couvert végétal de phacélie et tournesol
Photo d'un couvert végétal

L’insertion de couverts végétaux à très forte biomasse et/ou à effet allélopathique permet de restreindre le développement des adventices en interculture courte et longue et permet également de couper le cycle des maladies pour une rotation céréalière en particulier. La réussite de ce levier sera de plus en plus conditionnée par les irrégularités pluviométriques. D’une part, les sécheresses estivales compliquent fortement la tâche par le raccourcissement des cycles de développement des couverts. D’autre part, en cas de précipitations abondantes engendrant une forte biomasse, les modalités de destruction et de gestion des résidus complexifient la réussite du semis de la culture principale suivante. D’un côté, la destruction mécanique n’est pas toujours suffisante et d’un autre coté, une forte intensité de travail du sol nécessaire pour la destruction engendre d’autres inconvénients.

Le désherbage mécanique

Photo d'une herse étrille
Désherbage mécanique à la herse étrille

Le travail du sol, et en particulier le désherbage mécanique, permet de réduire le nombre de passages de traitements herbicides. Néanmoins, le travail du sol, notamment intensif, perturbe la faune du sol [I] et présente une empreinte carbone plus importante que le désherbage chimique. Compte tenu de l’impact du changement climatique comme 3ème cause de perte de biodiversité, le degré d’utilisation du travail du sol peut s’avérer subtile et est actuellement sujet à de nombreux débats entre adeptes du semis direct et promoteurs de l’agriculture biologique. Outre les oppositions de style, « parfois » dogmatiques, un juste équilibre entre ces deux leviers permettrait de réduire à la fois le travail du sol et l’emploi d’herbicides. Cet argument est d’autant plus audible que ces deux leviers se complètent plus qu’ils ne se concurrencent : l’application d’herbicides est plus efficace en condition humide (mais pas avant une forte pluie au risque d’entrainer leur fuite dans l'environnement) tandis que le désherbage mécanique est favorisé par des conditions sèches après une intervention.

L’alternance de travail du sol et de non-travail du sol peut également apporter des réponses étant donné que le premier favorise le développement de la famille végétale des dicotylédones (ambroisie, chénopodes …) quand le second engendre un risque plus important de multiplication des monocotylédones (vulpin, ray-grass …).

La réduction de la dissémination des spores de champignons par effet « splash »

Schéma effet splash
Schéma de l'effet "splash"

La réduction du travail du sol couplée à l’emploi de couverts végétaux permet de réduire l’effet « splash » (projections des spores par les gouttes de pluie) diffusant les principales maladies fongiques des céréales. Des résidus végétaux laissés en surface (mulch de surface) voire un couvert vivant permettent de réduire cet effet contrairement à un sol nu. La présence de résidus au moment du semis et plusieurs mois avant le semis de la culture principale entraine néanmoins un risque accru d’attaques de limaces et des difficultés lors de l’emblavement (action d'ensemencement en céréales).

Réduction de la disponibilité en azote pour les adventices

La gestion de la disponibilité en azote dans le sol au fil du temps représente un élément clé du développement des végétaux indésirables. A ce jour, les adventices peuvent concurrencer les cultures de manière très forte si elles ont à disposition une forte quantité d’azote minéral dans le sol. Les couverts végétaux permettent entre autres de réduire la disponibilité de ce stock en nutriments. Cependant, cette réduction affecte également la future culture en place au cours des premières phases de son cycle. Toutes les techniques propices à une gestion subtile de l’azote dans le sol au cours des campagnes permettront une gestion intégrée de la concurrence adventive.

Epandage des produits phytosanitaires en « bas volume »

La technique du bas volume consiste à abaisser le volume d’eau qui dilue les PPP lors de l’application au champ pour augmenter leur concentration et, de fait, leur efficacité. Cette technique permettrait d’abaisser la quantité de PPP épandus mais nécessite des conditions météorologiques plus exigeante en termes de chaleur, d'hygrométrie et d'absence de vent. Une mauvaise maîtrise de ces paramètres augmente le risque de volatilisation des produits.

Mise en place de plantes compagnes

Colza associé avec de la féverole

La mise en place de plantes compagnes présente plusieurs effets sur les nuisibles des cultures. D’un côté, elles peuvent limiter le développement des adventices avant d’être détruite pour laisser place au développement de la culture en place. D’un autre côté, la modification visuelle ou olfactive (cas du fenugrec) peuvent perturber les attaques d’insectes ravageurs. Cependant, les plantes compagnes présentent un risque de concurrence avec la culture en place et leur destruction peut nécessiter une intervention herbicide si la concurrence en sortie d’hiver est trop importante et pénalise trop le potentiel de rendement.

Jouer sur la nutrition des plantes pour favoriser leur robustesse

Dans la nature, les plus faibles se font toujours attaquer et détruire en premier. La gestion de la nutrition des plantes influence le développement des maladies. Une plante ayant une nutrition adaptée et non carencée sera plus robuste lors des premières phases de son cycle de développement pour faire face aux maladies et ravageurs. Les conditions du sol influencent également le développement de certaines maladies selon certains critères et notamment son potentiel RedOx (potentiel d’oxydoréduction) et son pH (potentiel d’Hydrogène).

Pour tous ces leviers, leur maîtrise est complexe et les connaissances peuvent être lacunaires pour certains d’entre eux. La mise en place de plantes compagnes constitue la pratique la plus technique et risquée à mettre en place à ce jour (sauf pour le colza en cas de bonne réserve hydrique du sol). Il existe plusieurs autres options exploratoires et non adaptables en l’état avec les contraintes de production auxquelles font face les exploitations agricoles actuellement mais qui présentent des pistes intéressantes : cultures en bandes avec effets d’attraction-répulsion, haies spécifiques, bandes non cultivées de service ...

Le cas particulier des produits de biocontrôle :

Les produits de biocontrôle sont souvent évoqués comme une des solutions de remplacement des produits phytosanitaires conventionnels.

A quoi correspond-t-il ? « Le biocontrôle est compris au sens des substances, organismes et médiateurs chimiques utilisés dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures. » Les substances naturelles, microorganismes et médiateurs chimiques font l’objet d’une évaluation avant mise sur le marché au même titre que les autres PPP, bien que certains d’entre eux bénéficient d’une procédure allégée. Les macroorganismes, généralement des insectes, relèvent en revanche d’un cadre réglementaire spécifique. Le risque d’espèce invasives induit un processus réglementaire particulier. Il faut noter que très peu de travaux concernent la présence des produits de biocontrôle dans l’environnement et leurs impacts sur la biodiversité. L’utilisation d’organismes vivants amène un nouveau cadre d’étude par rapport aux PPP conventionnels car ils peuvent se multiplier, se déplacer et coloniser d’autres milieux.

L’exemple le plus connu de ce type de risque concerne l’introduction de la coccinelle arlequin plus communément appelé coccinelle asiatique qui a conduit à une baisse de la biodiversité des espèces de coccinelles autochtones. Concernant les substances naturelles, les quelques résultats existants indiquent que si la plupart d’entre elles présentent une faible écotoxicité, d’autres (abamectine ou spinosad, toujours autorisées) ont une toxicité équivalente ou supérieure à celle de leurs homologues de synthèse selon l’INRAE. Le soufre et le sulfate de cuivre (communément appelé bouillie bordelaise) font partie de cette catégorie (fongicide minéral plus précisément) mais présentent des effets différents sur la diversité. Le soufre est une molécule indispensable à la croissance des plantes tandis que le cuivre est toxique à faible dose pour les organismes vivants. Les excès du cuivre dans les sols présentent un effet délétère sur les communautés microbiennes. Pour autant, le cuivre est considéré comme une solution de biocontrôle puisqu’il est issu de la nature.

Trichogramme en sachet
Trichogramme en sachet

A ce jour, la seule solution de biocontrôle efficace et connue en grande culture concerne les trichogrammes. Ils permettent de lutter contre la pyrale du maïs. Ils sont généralement épandus dans le champ sous forme de petits cartons biodégradable à disposer à la main (voir photo ci-dessus) ou plus rarement par capsule via des drones. La mise en place de ces petits cartons est néanmoins chronophage ou nécessite l’embauche d’une main d’œuvre ponctuelle tandis que l’épandage des capsules par drone entraine un surcoût lié à l’intervention d’un prestataire extérieur.

Que deviennent les produits phytosanitaires dans l’environnement ?

Schéma général de la contamination de l'environnement par les pesticides
Schéma général de la contamination de l'environnement par les pesticides - INRAE

A la suite de l’épandage, le devenir des produits diffère selon les types de PPP. La contamination des bassins versants jusqu’aux côtes maritimes concerne principalement les herbicides du fait qu’ils soient pour le plupart hydrophiles. Les insecticides, majoritairement hydrophobes, se concentrent dans le sol et les animaux. Les fongicides sont quant à eux principalement dans les sols et l’air.

Le transfert de PPP dans l’environnement peut s’opérer selon 4 phénomènes principalement :

  • Par volatilisation : cet effet est favorisé par des températures élevées et par le vent. Elle dépend aussi des propriétés du sol et du taux de végétation.
  • Par érosion : Il s’agit de la dispersion par le vent des particules de sol. Cette voie serait marginale en France.
  • Par lessivage/lixiviation : les PPP sont entrainés dans le sol lorsqu’ils sont appliqués avant de fortes pluies. L’importance de ces fuites dépend également de la dégradation des molécules par les micro-organismes et aussi des galeries de circulation d’eau dans le sol.
  • Par ruissellement : ce phénomène est également favorisé par de fortes pluies.

Pour limiter la volatilisation et l’érosion, il convient d’épandre les PPP en condition fraiche, en absence de vent et avec une bonne hygrométrie (sans être excessive). C’est la raison pour laquelle les traitements s’opèrent de plus en plus la nuit. Pour se prémunir du phénomène de lessivage/lixiviation et du ruissellement, la fiabilité des prévisions météorologiques apparait comme centrale. Il convient de préciser que les fuites des PPP dans l’environnement vont dépendre des types de sol.

La rémanence (persistance dans l’environnement) des substances actives de PPP peut varier de quelques jours à quelques années. « Généralement, lorsqu’une molécule appliquée est quantifiée dans l’air, on ne la retrouve pas hors des périodes de campagnes culturales. Pour quelques molécules de conception ancienne très stables chimiquement (aujourd’hui interdites d’utilisation), il est possible d’en retrouver dans l’air (ex : Lindane). » selon la Chambre d’agriculture.

Quelles sont les priorités ?

« Si les herbicides contribuent le plus aux concentrations totales en pesticides retrouvées dans les sols, le risque majeur estimé pour les vers de terre est dû aux insecticides et aux fongicides. Les risques de toxicité chronique pour ces vers de terre sont modérés à forts pour toutes les parcelles cultivées. »

Le principal groupe de produits phytosanitaires à réduire voire arrêter correspond aux insecticides. Leurs impacts sur la biodiversité sont les plus importants par la modification de l’équilibre entre populations et leurs impacts directs sur la faune du sol. Vient ensuite les fongicides, en particulier ceux à actions insecticides. La réduction de ces produits phytosanitaires est en constante avancée mais reste très hétérogène en fonction des cultures. En effet, la sensibilité des cultures aux ravageurs et champignons pathogènes est très variable selon les espèces et aussi entre variétés : le colza est par exemple très sensible aux insectes tandis que la pomme de terre est particulièrement sensible aux maladies fongiques. Les espèces les plus cultivées permettent un développement variétal plus conséquent induisant l’inscription de variétés de plus en plus résistantes aux maladies et ravageurs.

Concernant la réduction des herbicides et le maintien d’espèces au sein des parcelles, la problématique est plus complexe. La destruction des habitats et des ressources pour invertébrés (et par conséquent pour leurs prédateurs également) ne s’opère pas seulement par les herbicides. Une des solutions de substitution aux herbicides évoquée concerne le désherbage mécanique. Seulement, ce type de pratique entraine également la destruction des habitats et des ressources au sein de la parcelle. Que faire puisque la pratique même du désherbage, de quelque nature que ce soit, a pour objectif par essence de détruire les habitats et ressources naturelles indispensables aux insectes ? Ne plus désherber que ce soit de manière chimique et mécanique ? Autant arrêter de produire puisque les adventices envahiraient en quelques années les parcelles les rendant improductives pour les céréales à destination de l’alimentation humaine.

Les herbicides sont sans doute la famille de produits qui restera en service le plus longtemps du fait de la nécessité de limiter au maximum la concurrence des adventices et les impuretés à la récolte. Pour autant, les molécules d’herbicides et leurs dérivés s’accumulent dans l’environnement (réseau hydrique en particulier) et la diminution de ses résidus doit faire partir intégrante de l’objectif de réduction des produits phytosanitaires.

Comment réduire leurs impacts ?

En premier lieu, en réduisant autant que possible leur usage par les leviers (non exhaustifs) mentionnés plus haut, en particulier pour les insecticides et les fongicides. Les derniers usages de ces deux familles de substances actives doivent être cantonnées :

  1. Aux productions de niche (semences potagères, légumineuses spécifiques …) ne bénéficiant pas d’une recherche variétale aussi importante que les principales espèces cultivées
  2. Aux espèces les plus sensibles aux maladies et ravageurs. Pour les herbicides, une combinaison équilibrée et réduite des techniques de désherbage permettrait de réduire au maximum les risques inhérents à ces produits.

Enfin, la réduction de la fuite des PPP dans l’environnement passe aussi par la dégradation des molécules dans le sol. En effet, le sol agit comme un filtre biologique en assurant la dégradation des produits. « Les produits phytosanitaires sont soumis à l’action simultanée des phénomènes d’immobilisation, de dégradation et de transfert ». Les produits phytosanitaires sont fixés par la matière organique (adsorbé sur le complexe argilo-humique plus précisément) permettant ainsi de limiter leur fuite dans le milieu. De plus, « Le sol est un écosystème qui possède une capacité de dégradation des substances phytosanitaires très élevée. ». La dégradation s’opère en particulier sur les premiers centimètres. Certains micro-organismes se spécialisent même dans la dégradation de certaines molécules en s’en servant comme nutriments pour leur croissance. Le transfert de produits phytosanitaires dans les eaux (herbicides principalement) est d’autant plus faible que l’activité biologique est importante et concentrée sur les premiers centimètres. Le couple chaleur/humidité combiné à d'importants résidus végétaux et à la présence d’oxygène sont ainsi favorables à une forte activité biologique. Autrement dit, les herbicides appliqués sur cultures de printemps/été en semis simplifié/direct après un couvert végétal à forte biomasse sont les plus susceptibles d’être dégradés massivement. En revanche en hiver, l’application d’herbicide présente des risques plus importants de ruissellement ou d’infiltration dans le sol par la réduction de l’activité biologique et les fortes précipitations. Le travail simplifié serait davantage défavorable à la dégradation des PPP en hiver par rapport au travail du sol.

Les risques qu’entrainent la réduction de l’usage des produits phytosanitaires sont significatifs

Il faut rappeler que la biodiversité d’un milieu dépend avant tout de son contexte local. Les milieux les moins favorables à la production agricole présentent d’ailleurs des écosystèmes spécifiques et qui sont les premiers touchés par les applications d’engrais de synthèse et les PPP. Les espèces les plus impactées sont en effet celles qui sont adaptées à des milieux moins fertiles (zones humides ou très séchantes). Ces milieux présentent d’ailleurs les plus forts risques de fuite de PPP (ruissellement dans les zones hydromorphes et lixiviation dans les sols fortement drainants).

L’agriculture française a déjà réalisé des efforts d’adaptation depuis plusieurs années en arrêtant l’usage des produits ayant les plus forts impacts sur la biodiversité. Néanmoins, les résidus de plusieurs PPP anciens persistent dans l’environnement. Parmi ceux utilisés actuellement, quelques substances sous forme de résidus peuvent se retrouver dans les milieux naturels (ex : S-métolachlore dans les eaux de surface et souterraines dont l'ANSES va retirer les autorisations de mise en marché des principaux usages). Les propriétés physico-chimiques des PPP mais surtout leurs conditions d’application expliquent leur perte dans l’environnement.

A l’avenir, cette baisse d’usage va se poursuivre et consistera de plus en plus en un jeu d’équilibriste entre les différents leviers d'action contre le adventices, pathogènes et ravageurs mentionnés plus haut. La diminution de l’utilisation des PPP ne doit pour autant pas s’opérer de manière dogmatique en raison d’une multitude de risques :

  • La baisse de la production française de certaines cultures est inévitable (cas des espèces les plus cultivées comme le blé tendre) pour répondre à la nécessité de diversification des cultures. Néanmoins elle se doit d’être contenue pour ne pas mettre sous tension le système alimentaire mondial. La France exporte près de la moitié de sa production de blé tendre vers l’UE et l’Afrique du Nord principalement. Les risques alimentaires sont réels et les conséquences sociales et sociétales très importantes pour les pays dépendants des importations.
  • La hausse du risque de perte de productivité vient s’ajouter aux risques météorologiques et sanitaires déjà existants. Les risques vont avoir tendance à s’accroître avec la baisse indispensable de l’usage des PPP, solution historiquement efficace. Qui va porter le coût de ces risques ? L’usage des produits phytosanitaires, notamment en préventif, est dans certains cas une assurance compétitive économiquement pour les agriculteurs. Doivent-ils être les seuls à supporter cette hausse inévitable du coût assurantiel à la production ?
  • Le réaménagement du territoire, favorable à la biodiversité en termes d’agencement des parcelles et de corridors écologiques, entrainera également un surcoût à la production tant en termes de pertes sèches des surfaces productrices que de gestion des travaux des champs et de risques d’infestations d’une parcelle en adventices et ravageurs. Les zones non cultivées en bord de parcelle sont des réservoirs d’auxiliaires mais aussi de ravageurs des cultures (limaces, pucerons …) et de graines d’adventices.
  • Le risque de hausse de la contamination par les adventices, maladies et ravageurs fait peser un risque sanitaire accru. Les contaminations d’origine naturelle représentent aujourd’hui les principales causes de refus des matières premières au sein des entreprises agro-alimentaires. Ce risque peut de fait représenter une perte indirecte de production liée aux évolutions des pratiques agricoles.

Enfin, ces évolutions ne doivent pas entrainer un détournement des acheteurs des matières premières agricoles français qui deviendraient mécaniquement plus chers au profit de produits étrangers ne respectant pas les mêmes obligations. Les efforts dans les champs français deviendraient alors inutiles.

Faut-il se focaliser uniquement sur la réduction des produits phytosanitaires ?

La pression exercée par l’exposition aux PPP et à d’autres substances chimiques se combine dans l’environnement avec d’autres sources de stress dont les principales sont, d’une part, la destruction des habitats liée à l’intensification agricole et à l’urbanisation et, d’autre part, les évolutions liées au changement climatique et aux espèces envahissantes. La part relative des PPP dans l’érosion de la biodiversité est donc difficile à établir dans un contexte multifactoriel associant plusieurs types de pressions chimiques (incluant d’autres substances que les PPP), physiques (intensité lumineuse, sonore, bétonisation) et biologiques (espèces envahissantes). L’intensité des impacts des PPP sur la biodiversité est ainsi en partie dépendante de la situation considérée, et les résultats sont difficilement généralisables. Par exemple, l’intensité lumineuse est une des principales causes d’érosion de la biodiversité et ses conséquences se combinent avec celles de PPP. En effet, en cas de source lumineuse artificielle, les animaux (arthropodes, oiseaux nocturnes, migrateurs et insectes entre autres) s’épuisent, entrent en collision avec des obstacles ou encore sont attirés dans des zones dépourvues de ressources adéquates. Les espaces naturels ne sont pas épargnés par cette pollution, y compris les aires protégées. Ces dernières ont subi une régression de l’obscurité d’environ 15 % en Europe de 1992 à 2010.

Revenons au niveau agricole. Les effets des PPP résiduels et des interventions mécaniques peuvent être « compensés » par des aménagements au sein des exploitations agricoles. Les évolutions actuelles tendent aussi à réaménager les exploitations agricoles pour créer des réserves de biodiversité connectées entre elles et ainsi favoriser la croissance des populations naturelles. Ces zones non cultivées, assurant les habitats et l’alimentation des espèces, peuvent se matérialiser par des linéaires de haies (ayant un plan de gestion durable), par la mise en place de bandes enherbées ou encore par la restauration locale de zones humides. N’oublions pas que la biodiversité est d'autant plus importante que les activités humaines sont faibles.

Un tel réaménagement du territoire et de changement de pratiques sans rogner significativement sur la production nécessiterait de consacrer une part importante du temps de travail au sein des exploitations et impliquerait peut-être des recrutements et acquisitions de compétences dédiées à la gestion des infrastructures écologiques. La question centrale de cette mutation qui s’opère tient sans doute davantage dans les moyens qu’il faut y allouer que des résultats de travaux de recherche. Être agriculteur signifie être chef d’entreprise et aussi dans la plupart des cas chauffeur, comptable, maçon, responsable des achats et des ventes, agronome … L’exigence de l’évolution des travaux des champs et de l’organisation de l’exploitation ne pourra s’opérer sans recrutement, spécialisation des postes et acquisition de matériels adaptés. Qui finance ?

Chez ReSoil, nous proposons aux entreprises de participer activement à la transition des exploitations agricoles. Chaque projet de réduction d’émissions et de séquestration de carbone dans les sols fait l’objet d’un suivi d’indicateurs dépassant le cadre de l’empreinte carbone : biodiversité, érosion des sols, qualité de l’eau, qualité de l’air …