Tout comprendre sur la Science Based Targets initiative

1 décembre 2023

par
Maxence
SBTi
Source : Ecochain, 2023

I- Qu'est-ce-que la Science Based Targets Initiative

Un cadre pour matérialiser les objectifs de l’Accord de Paris

En 2009, l’ensemble des parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) se réunissent à Copenhague pour la COP 15. Polarisant de nombreux espoirs et attentes autour d’un nouvel accord international sur le climat pour enfin succéder au poussiéreux Protocole de Kyoto, les négociations se soldent pourtant par un échec retentissant. Néanmoins, malgré les nombreux désaccords entre les différents États pour s’aligner sur un traité ambitieux, cette COP a eu le mérite de permettre une prise de conscience mondiale sur les enjeux du changement climatique en introduisant pour la première fois l’objectif de limitation de la température moyenne mondiale à 2 degrés. Véritable mètre étalon des efforts à fournir, il faudra attendre la COP 21 et l’Accord de Paris en 2015 pour que la formule suivante soit ajoutée dans l’article 2 : « […] Contenant l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C ».

Afin de matérialiser cette ambition de limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques mondiales, le Carbon Disclosure Project (CDP), le Pacte Mondial des Nations Unies, le World Resources Institute (WRI) et le World Wide Fund for Nature (WWF) fondent en 2014 la Science Based Targets initiative (SBTi). Conformément à l'Accord de Paris, l'objectif principal de la SBTi est d'encourager les entreprises à fixer des objectifs de réduction de leurs émissions qui soient en conformité avec les niveaux requis par la science pour limiter le réchauffement climatique bien en deçà de 2°C, et de préférence à 1,5°C, par rapport aux niveaux préindustriels. Elle fournit donc un cadre cohérent pour permettre aux entreprises de s’engager vers la neutralité carbone en conformité avec la science.

Une gouvernance multipartite

La gouvernance de la SBTi a longtemps reposé sur une structure collaborative et multipartite entre les organisations fondatrices. Son comité de direction est composé de représentants de chacune des organisations. Néanmoins, son statut a évolué en 2023 en adéquation avec son influence et son ambition en devenant une organisation à part entière et en incorporant un conseil d’administration dirigé par un président.

Une légitimité internationale

Initialement, lorsque la SBTi a été fondée en 2014, l’ambition était d’encourager 100 entreprises à s’engager dans des réductions de leurs émissions de GES en adéquation avec la science du climat. Fin 2022, pas moins de 2079 entreprises avaient adhéré aux trajectoires validées par la SBTI, représentant près d’un tiers de l’économie mondiale en termes de capitalisation boursière, à savoir 37'300 milliards de dollars. Parmi elles, les entreprises engagées dans des trajectoires approuvées à une limitation à 1.5 degré représentent 20'000 milliards de dollars.

Nombre d'entreprises avec des trajectoires validées par la SBTI
Figure 1 : Nombre d'entreprises avec des trajectoires validées par la SBTI ; Source : SBTi Monitoring Report 2022

La France se distingue comme l'un des pays où les entreprises sont les plus engagées en matière d’objectifs de réduction d’émissions et de neutralité carbone. À la fin de l'année 2022, 88% des entreprises listées sur le CAC 40 s'étaient fixées ou avaient pris l'engagement de fixer des objectifs environnementaux d'ici fin 2022.

A fin novembre 2023, 329 entreprises françaises ont rejoint l'initiative SBTi, et 192 d'entre elles ont des objectifs approuvés par l'organisation. Les secteurs les plus actifs dans la mise en place de ces objectifs sont ceux des services, de la fabrication et des infrastructures, représentant 60% des entreprises ayant établi des cibles. Le secteur des matériaux a connu la plus forte croissance en nombre d'entreprises fixant des objectifs. À l'opposé, les industries de la production d'énergie, de la biotechnologie, de la santé et des produits pharmaceutiques, ainsi que de l'hôtellerie, ont peu évolué dans ce domaine.

Part des entreprises avec des trajectoires validées SBTi dans les principaux indices de cotation
Figure 2 : Part des entreprises avec des trajectoires validées SBTi dans les principaux indices de cotation ; Source : SBTi Monitoring Report 2022

II- Le Net Zero Standard de la SBTi

Le concept de neutralité carbone à l’échelle de l’entreprise

Principaux concepts du Net Zero Standard
Figure 3 : Principaux concepts du Net Zero Standard ; Source : SBTi Corporate Net-Zero Standard, Version 1.1 (april 2023)

Afin d’implémenter la transition des entreprises vers la neutralité carbone en conformité avec les objectifs climatiques et de durabilité des sociétés, la SBTi a donc développé et mis en place le Net Zero Standard. Lancé en 2019, ce standard a une approche généraliste et intersectorielle de la neutralité carbone des entreprises. Dans son sillon, la SBTi a aussi développé d’autres standards correspondant à des secteurs spécifiques, parmi lesquels FLAG (pour Forest, Land and Agriculture) qui s’attardent sur la transition vers la neutralité carbone des entreprises liées au secteur des terres.

Le Standard Net-Zéro de la SBTi définit la neutralité carbone d'une entreprise comme :

- La réduction des émissions des scopes 1, 2 et 3 à zéro ou à un niveau résiduel compatible avec l'atteinte de la neutralité carbone mondiale ou au niveau sectoriel dans des trajectoires éligibles alignées sur 1,5°C ; et

- La neutralisation permanente de toutes émissions résiduelles à l'année cible de neutralité carbone et de toute émission de GES libérée dans l'atmosphère par la suite. Pour contribuer aux objectifs de neutralité carbone de la société, il est fortement recommandé aux entreprises d'aller au-delà de leurs objectifs d'atténuation basés sur la science pour atténuer les émissions au-delà de leurs chaînes de valeur.

Deux horizons temporels

La figure 3 reprend les éléments de la neutralité carbone par la SBTi. Plusieurs éléments sont à décrire. Tout d’abord, il y a deux horizons temporels qui diffèrent dans l’atteinte de la neutralité : les objectifs de court terme (near-term) et les objectifs de long terme (long term). Les premiers impliquent des trajectoires de réductions des émissions de GES qui doivent être achevées dans un délai de 5 à 10 ans, à un horizon 2030 approximativement. Tandis que les seconds indiquent aux entreprises le volume d’émissions à réduire de leur chaîne de valeur pour s'aligner sur l'atteinte de la neutralité carbone au niveau mondial ou sectoriel, dans le cadre des trajectoires éligibles du scénario 1,5°C d'ici 2050 ou plus tôt. Les objectifs à long terme sont essentiels pour assurer un alignement de l'ensemble de l'économie et pour la planification stratégique des entreprises, en vue d'atteindre les réductions d'émissions mondiales nécessaires.

Cela entraîne une distinction essentielle : les objectifs scientifiques à court terme dépendent de l'année spécifique visée par l’entreprise, alors que les objectifs scientifiques à long terme ne sont pas liés à une année spécifique. En d'autres terme, les objectifs à court terme correspondent au plan d'action immédiat, et ceux à long terme à la finalité recherchée (la neutralité carbone).

Matrice du Net Zero Standard de la SBTi
Figure 4 : Matrice du Net Zero Standard de la SBTi ; Source : SBTi Corporate Net-Zero Standard, Version 1.1 (april 2023)

Comme le montre la figure 4, les entreprises doivent s’engager dans une trajectoire court terme et une trajectoire long terme. Les objectifs de long terme ne peuvent qu’être alignés avec les objectifs l’accord de Paris limitant la température à 1.5 degré, à savoir un état de neutralité carbone à l’échelle de l’entreprise au minimum en 2050. En revanche, concernant les objectifs de court terme, deux niveaux d’ambition sont possibles pour le scope 3 : une trajectoire en adéquation avec les objectifs de 1.5 et une avec un objectif Well-bellow 2 degrés. Il est intéressant de noter que la SBTi a récemment renforcé ses exigences pour les entreprises en s'assurant que tous les objectifs s'alignent sur un avenir long terme à 1,5°C. En effet, depuis le 15 juillet 2022, la SBTi ne valide plus que les objectifs alignés sur un niveau d'ambition minimal de 1,5°C pour les scopes 1 et 2, et bien en dessous de 2°C pour le scope 3. Comme le montre la figure 1, avant 2022, des entreprises pouvaient encore s'aligner avec des trajectoires 2 degrés.

Les 3 piliers pour l’atteinte de la neutralité carbone

Schéma des bonnes pratiques du Net Zero Standard
Figure 5 : Schéma des bonnes pratiques du Net Zero Standard ; Source : SBTi Corporate Net-Zero Standard, Version 1.1 (april 2023)

Les recommandations du Net Zero Standard soulignent que les trajectoires reposent sur trois piliers capitaux dans l'établissement d'objectifs basés sur la science. La figure ci-dessus décrit le chemin à suivre des meilleures pratiques pour les entreprises dans leurs objectifs de neutralité à long terme. Dans la phase de court terme, les entreprises doivent prioriser les réductions d’émissions ou la diminution de l’intensité des émissions au sein de leurs chaines de valeur, c’est-à-dire comprise dans leurs scope 1, 2 ou 3 : on parle des stratégies d’abattement ou d’atténuation. Dans un second temps, les entreprises peuvent réduire les émissions ou l’intensité des émissions en dehors de leur chaine de valeur. Elles peuvent par exemple financer des projets de conservation de la forêt en zone humide (qui évitent des émissions liées à un déstockage de carbone) ou des projets de rénovation bâtimentaire du secteur tertiaire qui ne sont pas liés à l’activité de l’entreprise. Néanmoins, comme le précise la méthode, ces projets ne permettent en aucun cas d’augmenter les puits carbones en séquestrant des gaz à effet de serre, ils permettent une réduction ou un évitement des émissions situé en dehors de la chaine de valeur de l’entreprise. Pour comprendre ce qu'un puit de carbone, n'hésitez pas à lire cet article ReSoil. Ainsi, bien que le Net Zero recommande aux entreprises de financer ces réductions en dehors de la chaine de valeur, elles ne peuvent en aucun cas s’insérer dans la trajectoire de neutralité des entreprises. En d’autres termes, les réductions en dehors de la chaine de valeur ne peuvent être soustraites aux émissions résiduelles de l’entreprise afin d’atteindre la situation d’équilibre décrite par la neutralité carbone du standard. Il s’agit donc seulement ici d’une incitation. En revanche, le 3ème pilier,  la « neutralisation » correspondant bien au financement des puits de carbone en dehors de la chaine de valeur, est absolument obligatoire pour l’atteinte de la neutralité à l’échelle de l’entreprise. Ces investissements doivent permettre de compenser les émissions résiduelles ou incompressibles de l’entreprise.

Des spécificités par secteur

La méthode décrite jusqu’à présent est la méthode intersectorielle. À long terme, les émissions dans la trajectoire intersectorielle sont réduites d'au moins 90%, et la plupart des trajectoires spécifiques aux secteurs réduisent également les émissions de CO2 de 90% ou plus par rapport aux niveaux de 2020. Par conséquent, les objectifs scientifiques à long terme équivalent à une réduction absolue d'au moins 90% dans tous les scopes pour de nombreuses entreprises, que l'on utilise la trajectoire intersectorielle ou des trajectoires spécifiques au secteur.

À l'exception des secteurs de la production d'énergie, du transport maritime et du FLAG (Forest, Land and Agriculture), tous les secteurs peuvent utiliser la trajectoire intersectorielle pour définir des objectifs scientifiques à court et à long terme alignés sur 1,5°C, surtout en l'absence de trajectoires spécifiques au secteur.

Le graphique ci-dessous présente les différents objectifs de réduction d’émissions de la SBTi en fonction des différents secteurs.

Différentes types de méthodologie SBTi en fonction es secteurs
Figure 7 : Différentes types de méthodologies SBTi en fonction des secteurs ; Source : SBTi Corporate Net-Zero Standard, Version 1.1 (april 2023)

Les limites de la démarche

Bien que la rigueur scientifique de l’initiative de la SBTI ne soit plus à démontrer, elle ne demeure pour le moment qu’un objectif volontaire. Il n’y a donc aucune obligation légale à s’y engager.

Par ailleurs, le Standard Net Zero ne dit pas si l'entreprise respecte bien, année après année, ses trajectoires cibles (de réduction d'émissions et de séquestration). Elle permet de fixer les objectifs mais ne permet pas de mesurer si ceux-ci ont été atteints.

III- Quelle Différence avec la Net Zero Initative portée par Carbone 4 avec le soutien de l’ADEME ?

Présentation de la NZI

En France, une autre initiative fait autorité dans la conceptualisation de la neutralité carbone des entreprises : la Net Zero Initiative (NZI) du cabinet de conseil Carbone 4. La Net Zero Initiative est un cadre stratégique développé pour orienter efficacement les organisations vers une neutralité carbone réaliste et responsable. Conçue par le cabinet de conseil Carbone 4, spécialisé dans la stratégie carbone et l'adaptation au changement climatique, cette initiative propose une approche globale de la gestion des émissions de gaz à effet de serre. Elle englobe les émissions directes et indirectes des organisations (scopes 1, 2 et 3) et s'aligne sur les objectifs climatiques scientifiques, notamment ceux établis par l'Accord de Paris, visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

Contrairement à la SBTi, la NZI ne propose pas aux entreprises des trajectoires précises de réduction des émissions par secteurs. En revanche, elle offre une approche holistique et globale pour atteindre la neutralité carbone, allant au-delà de la simple réduction des émissions pour inclure des stratégies de neutralisation et de compensation.

Une différence de philosophie autour du concept de neutralité carbone

Les deux initiatives ont de nombreuses compatibilités. Elles partagent en effet une vision commune sur la séparation des trois piliers : réduction au sein de la chaine de valeur, réduction en dehors de la chaine de valeur et augmentation des puits de carbone. De plus, elles partagent la même vision sur la marche à suivre : à savoir, placer les réductions de ses émissions au cœur de l’approche et en priorité absolue.

Matrice Net Zero initiative de Carbone4
Figure 8 : Matrice Net Zero Initiative de Carbone 4 ; Source : Net Zero initiative 2020-2021, Rapport final

Bien que ces deux initiatives encadrent la neutralité carbone des entreprises, elles ne partagent pas la même philosophie sur le concept de neutralité carbone. Tandis que la SBTi décrit la neutralité à l’échelle d’une entreprise (une simple soustraction des émissions résiduelle (pilier A) et des émissions séquestrées en dehors de la chaine de valeur (pilier C)), la NZI adopte une approche plus territorialiste. Alors que la SBTi définit la neutralité comme l’addition des neutralités individuelles, la NZI a une vision de la neutralité carbone à l’échelle planétaire, déclinée à une vision par territoire. Ainsi, chaque pays doit poursuivre un objectif de neutralité de son territoire, cela s’incarne en France avec la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).

Cette perception donnée à la neutralité à l’échelle d’un territoire implique donc que les réductions d’émissions en dehors de la chaine de valeur (pilier B) située au sein du territoire de l’entreprise sont aussi importantes que le pilier neutralisation car elles contribuent tout autant à la poursuite de la neutralité du territoire en question. La NZI place donc les crédits de financement des réductions d’émissions et de séquestrations au même niveau à partir du moment où ils se trouvent sur le territoire de l’entreprise qui les financent, que ce soit à l’échelle nationale, régionale ou départementale.

Il est très intéressant de noter que la NZI, en choisissant cette approche territoriale, se conforme à l’évolution sémantique de la compensation vers la contribution. On parle de contribuer à la neutralité carbone d’un territoire (pour la NZI) contre compenser ses propres émissions résiduelles (pour la SBTi).

Conclusion

C’est dans cette vision territoriale de la SNBC que le Ministère de la transition écologique a créé le Label bas-carbone, pour cadrer la génération de crédits carbone de séquestration et d’émissions évitées en dehors de la chaine de valeur en France. ReSoil, premier développeur de projet agricole Label bas-carbone en Grandes Cultures, propose ainsi des projets de transition vers des pratiques régénératrices qui assurent à la fois des réductions d’émissions et des séquestrations, permettant d’accompagner des entreprises à la fois au sein de l’initiative NZI et de l’initiative SBTi dans leurs objectifs de contribution à la neutralité carbone.