Financer la transition agricole : aides PAC, primes filières et crédit carbone agricole avec le Label bas carbone

27 janvier 2024

par
Maxence

Programmes de financement de la transition agricole
Schéma des différents programmes de financement de la transition agricole

Le 1er janvier 2023, Le Plan Stratégique National est officiellement entré en vigueur inaugurant la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC 2023-2027). Au sein des différentes aides de la PAC, certaines sont conçues pour encourager la transition écologique des fermes et ainsi apporter une réponse aux enjeux climatiques. Tout d’abord, l’éco-régime est présenté comme le fer de lance de la transition écologique au sein de la nouvelle PAC en se substituant au paiement vert. L'éco-régime vise à encourager les pratiques agricoles qui sont à la fois écologiquement responsables et économiquement viables à travers une série de mesures que nous détaillerons en profondeur. Autre mesure clé qui s’inscrit pleinement dans le financement de la transition agricole, les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Cette aide était déjà présente dans la dernière PAC, cette nouvelle version actualise le catalogue de mesures agroenvironnementales et climatiques. Enfin, on peut citer les aides couplées végétales. En incitant financièrement, l'implantation de certaines cultures, en particulier les légumineuses fourragères et les protéines végétales, ces aides incitent les agriculteurs à inclure dans leurs assolements des cultures qui ont un impact écologique positif.

Nous rentrerons en détail dans le fonctionnement de ces différents outils dans la suite de cet article, toutefois nous pouvons d’ores et déjà avancer un chiffre qui montre que l’éco-régime, outil principal de la PAC en faveur de la transition écologique, n’incite que peu les agriculteurs à aller plus loin dans la mise en place des pratiques durables : près de 99% des exploitations sont en effet déjà théoriquement éligibles au niveau 1 de l’éco-régime sans faire évoluer leurs pratiques.


En dehors du cadre européen de la PAC, on peut citer une autre initiative publique qui finance la transition écologique des exploitations agricoles française:  les Paiements pour Services Environnementaux (PSE). L’objectif de ce mécanisme est d’inciter des initiatives territoriales concernant la préservation de la biodiversité, une meilleure gestion de l’eau ou une réduction de l’impact climatiques des exploitations agricoles.

En parallèle, les primes filières, qui consistent à offrir une rémunération supplémentaire par unité de production de culture si un cahier des charges précis est respecté, certaines offrent des incitations pour adopter des méthodes de production moins émettrice de gaz à effet de serre ou bien favorables à la biodiversité. Enfin, le Label bas-carbone récompense des changements de pratiques agricoles en permettant de valoriser chaque tonne équivalent CO2 réduite ou stockée dans les sols sous forme de crédit carbone pouvant être vendu sur le marché volontaire du carbone à une entreprise souhaitant s’engager dans une démarche de contribution carbone. Il s’agit d’un levier supplémentaire, inédit et concret pour permettre à l’agriculteur de financer sa transition agricole vers des pratiques dites régénératrices.

Dans la suite de cet article nous détaillerons ces différents mécanismes de financement de la transition écologique de l’agriculture 👇

Plan de l'article

I - La Politique agricole commune (PAC)

Histoire de la PAC

En 1962, soit 5 ans après la signature du Traité de Rome constituant la Communauté Economique Européenne, la Politique agricole commune (PAC) voit le jour. En s’inscrivant dans un contexte d’après Seconde guerre mondiale, la PAC a permis d’assurer la sécurité alimentaire aux populations des Etats membres, à des prix abordables, tout en assurant aux agriculteurs un revenu pour vivre. La PAC promeut donc un partenariat inédit entre l’Europe et ses agriculteurs.

En plus d’un demi-siècle d’existence, la PAC s’est élargie et adaptée pour intégrer des enjeux tels que la durabilité environnementale, le bien-être animal et le développement rural. Le graphique ci-dessous retrace les principales réformes de la PAC depuis son entrée en vigueur.

Chronologie de la politique agricole commune
Histoire de la PAC - Source : Ministère de la l'Agriculture

Il manque sur ce graphique, la dernière réforme en date de la PAC adoptée en 2020 et qui est entrée en vigueur en 2021. Cette dernière réforme se présente comme une réponse aux enjeux environnementaux et climatiques.  Plus qu'une simple mise à jour, elle propose un virage vert pour l'agriculture européenne, en phase avec le Pacte Vert. Rappelons que le Pacte Vert Européen est le plan d’action de l’Union Européenne afin d’aligner ses Etats membres avec les objectifs de l’Accord de Paris : réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Dans la pratique, cette nouvelle réforme de la PAC entend moderniser son fonctionnement en introduisant des Plans Stratégiques Nationaux. Ces plans, élaborés par chaque État membre, sont un pas vers une politique agricole plus souple et adaptée en permettant d'adopter des stratégies agricoles qui tiennent compte des spécificités environnementales locales, reflétant ainsi une approche plus décentralisée et efficace pour atteindre les objectifs de durabilité.

Dans le Plan Stratégique National (PSN) de la France pour la période 2023-2027, l’éco-régime est introduit pour participer au financement de la transition agricole, en substitution au Paiement Vert de la programmation 2014-2022.

Budget de la PAC

La PAC représente la plus grosse dépense de l’Union Européenne avec près d’un tiers du budget, soit 264 milliards d’euros pour la période 2023-2027.  

La France est le premier bénéficiaire des aides de la PAC (17% du budget total), avec un budget alloué de 45 milliards d’euros sur la période couvrant les 5 ans du PSN 2023-27, soit 9 milliards d'euros par an.

Pour vous aider à vous repérer parmi toutes les mesures de la PAC, le graphique ci-dessous identifie les différents programmes qui financent la transition entre la PAC de 2014-2022 en France et la nouvelle programmation PAC 2023-27. Il est intéressant de remarquer que l’allocation des budgets entre les deux piliers n’a pas significativement changé. Le 1er pilier représente ~78% du budget total de la PAC.

Evolution budget de la PAC
Graphique de l'évolution du budget de la PAC (vs. la PAC précédente) - Source : site Agri71

A. L'éco-régime

Voici la définition de l’éco-régime telle qu’inscrite dans le PSN 2023-27 : « L’éco-régime rémunèrera les pratiques favorables à la diversification des cultures, favorisant les légumineuses et les prairies ce qui permettra un moindre recours à la fertilisation azotée d’origine minérale, source d’émissions de gaz à effet serre, à l’enherbement des inter-rangs des vergers et vignobles qui permet de réduire la consommation de pesticides et de couvrir les sols, et au non-labour des prairies permanentes pour maximiser le stockage de carbone dans les sols agricoles »

L’éco-régime propose une aide sous forme de paiement découplé d’un montant fixe au niveau national versé sur tous les hectares admissibles de l’exploitation et se décline en trois voies d’accès non cumulables entre elles.

Chaque agriculteur devra ainsi choisir, chaque année, une des trois voies possibles d’aide financière de la PAC :

  1. la voie « pratiques agricoles »
  2. la voie « certification environnementale »
  3. la voie « éléments favorables à la biodiversité »

Il existe un complément d’aides de 7€/ha appelé « bonus haies » uniquement valable pour les deux voies « pratiques agricoles » et « certification environnementale ».

La voie des pratiques agricoles

Voie des pratiques agricoles - Source : Chambre d'agriculture de la Marne
Voie des pratiques agricoles - Source : Chambre d'agriculture de la Marne

La voie des pratiques est constituée de trois blocs de pratiques distincts comme le montre le graphique ci-dessus : la diversification des cultures, le maintien des Prairies Permanentes et les couvertures végétales de l’inter-rang. Au sein de cette voie, les 3 blocs de pratiques doivent être mis en place ensemble pour être éligible à l’aide financière associée. La valeur de l'aide financière que vous recevez dépendra du niveau de performance environnementale que vous parvenez à atteindre pour l'ensemble de vos blocs de pratiques culturales, de 60€/ha à 82€/ha (ou 0€ si le seuil minimal n’est pas atteint).

Qui plus est, la voie des pratiques est éligible au bonus Haies de 7€/ha supplémentaire si les haies représentent 6% des terres arables (1 mètre linéaire de haie représentant 10m2), avec certification de gestion durable.

La voie de la certification

Voie des pratiques agricoles - Source : Chambre d'agriculture de la Marne
Voie des certifications - Source : Chambre d'agriculture de la Marne

Cette voie s’appuie sur différents niveaux de certification remplis par l’exploitation. On retrouve 3 seuils de certification, donnant accès à trois niveaux de rémunération distincts :

  • Le niveau CE2+, octroyant une aide financière de 60 euros par hectare;
  • Le niveau HVE, pour Haute Valeur Environnementale rémunérant à hauteur de 82 euros par hectare;
  • Et, le niveau AB (Agriculture Biologique) donne accès à une rémunération de 112 euros par hectare (82€ du niveau HVE + 30€ pour ce qui est considéré comme un « 3ème niveau » avec le bio)

Dans les faits, que signifient ces trois niveaux de certification et comment les valider ?

Tout d’abord, précisons que les deux premiers niveaux d’ambition, HVE ET CE2+ appartiennent au même référentiel, tandis que le label AB est un référentiel à part. Le référentiel (HVE) est un système de certification environnementale en France qui vise à identifier et à valoriser les pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement. Il est subdivisé en 3 niveaux :

  • 1er niveau : sensibilisation aux prérequis règlementaires et autodiagnostic de l’exploitation ;
  • 2e niveau : mise en œuvre de bonnes pratiques agro-écologiques répondant à des objectifs de moyens : correspond au niveau CE2+ du référentiel HVE.  Le niveau 2 est accessible par deux canaux : i) l’atteinte de 16 exigences du référentiel ou ii) la mise en œuvre d’une démarche environnementale reposant sur un cahier des charges reconnu par la Commission Nationale de Certification Environnementale;
  • 3e niveau : atteinte d’un score minimal de 10 points sur chacun des 4 groupes d’indicateurs du référentiel HVE, soit 40 points minimum au total sur près de 160 points possibles : correspond au niveau HVE du référentiel HVE.

Ce référentiel Haute Valeur Environnementale s'appuie sur 4 groupes d’indicateurs mesurant la performance environnementale des exploitations via un système de points :

  • Biodiversité : gestion et préservation de la biodiversité sur l'exploitation, ce qui peut inclure la création et le maintien d'habitats naturels, comme des haies, des bandes enherbées, des mares ou des arbres isolés ;
  • Gestion des produits phytosanitaires : réduction de l'utilisation des pesticides et des produits chimiques en privilégiant les méthodes de lutte intégrée et autres pratiques agricoles durables - toutefois dans les faits cela n'est que très peu restrictif ;
  • Gestion de la fertilisation : utilisation rationnelle des engrais, en cherchant à minimiser l'impact environnemental tout en maintenant la fertilité des sols - là encore le terme " utilisation rationnelle des engrais " reste vague ;
  • Gestion de l’irrigation : utilisation efficace de l'eau pour l'irrigation, en mettant en œuvre des pratiques qui réduisent le gaspillage et préservent les ressources en eau ;

Evolution du nombre d'exploitations labellisées HVE - Source : Ministère de l'Agriculture
Evolution du nombre d'exploitations labellisées HVE - Source : Ministère de l'Agriculture

La dernière version détaillée du référentiel HVE, modifié en 2023, est consultable ici.

Enfin, le dernier standard de la voie certification est l’appellation AB permettant un niveau maximal de rémunération toutes voies confondues. Il est important de comprendre que le label Agriculture Biologique est indépendant du référentiel HVE et bien plus ambitieux sur le plan environnemental. L'Agriculture Biologique a un cahier des charges précis sans utilisation de d'intrants de synthèse (engrais, pesticides) et favorisant le bien être animal. Le cahier des charges AB est donc bien plus strict que le référentiel HVE.

Comme pour la voie des pratiques, les trois niveaux de la voie certification sont aussi éligibles au Bonus Haies de 7€/ha.

La voie « éléments favorables à la biodiversité » ou voie « des infrastructures agroécologiques »

Voie biodiversité - Source : Chambre d'agriculture de la Marne
Voie biodiversité - Source : Chambre d'agriculture de la Marne

Les infrastructures agroécologiques incluent divers éléments du paysage non productifs, comme les haies, les alignements d'arbres, les arbres isolés, les bosquets, les mares, les fossés non maçonnés, les bordures de champs non cultivés, les jachères mellifères, et les murs traditionnels, chacun avec des coefficients de pondération spécifiques. Ces éléments sont évalués et quantifiés en utilisant la catégorie des Surfaces Non Agricoles (SNA) sur la plateforme TelePAC. L'objectif est de valoriser la présence de structures ou de surfaces qui contribuent positivement à la biodiversité et au paysage au sein des surfaces agricoles, indépendamment du type de couverture végétale. Cette démarche vise à protéger la biodiversité caractéristique des systèmes agricoles et des espèces utiles telles que les pollinisateurs et les oiseaux communs des milieux agricoles (comme la tourterelle des bois), à préserver la qualité des sols et de l'eau, à lutter contre l'érosion, à protéger les paysages et à renforcer la séquestration du carbone grâce à la présence accrue d'éléments boisés.  

La voie des infrastructures agroécologiques stipule qu’elles doivent occuper au moins 7% de la surface agricole utile (SAU) de l'exploitation pour atteindre le niveau standard, qui rémunère à hauteur de 60 euros par hectare, et au moins 10% pour le niveau supérieur, débloquant les aides de 82 euros par hectare.

Cette voie n’est pas éligible au Bonus Haies.

Une diminution du financement pour l'éco-régime en 2023

Toutefois pour la récolte 2023, le Ministère de l’Agriculture a annoncé dans un arrêt mi-décembre que les montants de ces aides allaient être revus à la baisse, ~20%, pour celle-ci :

  • Niveau standard : 46,7€/ha au lieu des 60€ annoncés (-22%) ;
  • Niveau supérieur : 63,7€/ha au lieu des 82€ annoncés (-22%) ;
  • Niveau AB : 94€/ha au lieu de 110€ annoncés (-15%) ;

Cela n’est pas un bon signal pour encourager la transition agricole. Nous verrons ce qu’il en est pour les prochaines récoltes.

B. Les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC)

Au sein du second pilier, financé par la Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), la mesure phare de la transition est le financement des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC).

Elles ont pour but de compenser les surcoûts et manques à gagner générés par l’introduction sur les exploitations de pratiques plus respectueuses de l’environnement. L’exploitant qui souscrit une mesure agro-environnementale et climatique s’engage ainsi à respecter pendant 5 ans des pratiques durables en échange d’une rémunération qui dépend du niveau de contrainte de ces pratiques.

On distingue 2 types de MAEC qui appartiennent à deux blocs différents :

  • les MAEC surfaciques dont le pilotage dépend de l’Etat et plus précisément la Direction Régionale de l'Agriculture, de l'Alimentation et de la Forêt (DRAAF) ;
  • et, les autres MAEC (apiculture, races menacées et mesures forfaitaires de transition) gérées par les Régions.

En termes de rémunération, les MAEC, en s’appuyant sur des cahiers des charges, utilisent des indicateurs de moyens. Chaque MAEC, propose donc un cahier des charges qui lui est propre et une rémunération à l’hectare et par an associée. Pour l’ensemble de la durée du contrat, des contrôles sur place sont effectués.

Parmi les différents enjeux soutenus par les MAEC, on retrouve :

  • Les MAEC Eau dont les enjeux principaux sont la baisse des IFT, baisse de la consommation d’eau de l’exploitation…
  • Les MAEC Sol qui concerne présence de légumineuses, de couverts mellifères dans l’assolement, une couverture permanente des sols…
  • Les MAEC Biodiversité : création de couvert faunistique favorables aux pollinisateurs, création de prairie, entretien de haies…
  • Les MAEC Elevage

C. Les Aides Couplées

Une aide couplée consiste à aider spécifiquement une exploitation agricole lorsqu’elle génère un certain produit.

Cette subvention à la production est un outil déterminant pour l’orientation des productions. On retrouve les aides couplées végétales et les aides couplées animaux. Ces aides étaient déjà présentes pendant la dernière programmation de la PAC et son budget alloué n’a pas évolué. Néanmoins, afin de favoriser l’autonomie en protéines de la ferme, l’enveloppe des aides aux légumineuses fourragères et à graines est augmentée pour accompagner le développement de ces productions avec un objectif de doublement des surfaces d’ici à 2030.

Parmi les différentes aides couplées végétales, on retrouve celles liées aux:

  • Légumineuses à graines et aux légumineuses fourragères déshydratées ou destinées à la production de semences : 104 €/ha ;
  • Légumineuses fourragères : 149 €/ha (uniquement la 1ère année);
  • Chanvre : 98€/ha ;
  • Blé dur : 61 €/ha ;

Ainsi, on distingue bien la volonté politique derrière ces aides d’inciter économiquement les exploitations à inclure dans leurs assolements des légumineuses ou des cultures à faible niveau d’intrants (ex : le chanvre qui ne nécessite pas ou peu de pesticides et d’engrais) en les subventionnant fortement. Son développement permet d’améliorer l’autonomie protéique des exploitations, favorise la résilience des exploitations de grandes cultures en diminuant leur dépendance aux intrants et répond à la demande croissante de légumes secs en alimentation humaine.

En revanche, l’aide couplée végétale au blé dur n’a pas la même visée. Il s’agit ici plus d’une question de souveraineté alimentaire - les surfaces de blé dur en France ayant été divisée par 2 en 15 ans alors que la consommation augmente -plutôt qu’un enjeu climatique. En effet, le blé dur servant à la production de pâtes, celle-ci ayant un taux de protéines assez élevé (12-15%) cela nécessite en général d’apporter une quantité importante d’engrais azotés (principale source d’émissions de gaz à effet de serre en Grandes Cultures.


II - Les primes filières

Une prime filière en agriculture est un programme couplé d’une aide financière (une prime donc) spécifiquement conçue pour soutenir des pratiques agricoles particulières. Ces primes peuvent être mises en place par des industriels de l’agroalimentaire, des coopératives ou des distributeurs qui sont prêts à payer un prix supérieur par unité de production. Contrairement à une rémunération à l’hectare en fonction des pratiques mise en avant par l’éco-régime, la prime filière assure un prix à la tonne d’unité de production convenu entre les différents acteurs sur la chaine d’approvisionnement si ces derniers respectent le cahier des charges. L'objectif principal de ces primes est d'encourager les agriculteurs à adopter des pratiques agricoles durables et innovantes, à améliorer la qualité de leurs produits, et à s'adapter à des normes environnementales ou de qualité supérieure. Elles sont destinées aux exploitants agricoles et aux entreprises du secteur agroalimentaire qui cherchent à moderniser leurs opérations, à diversifier leur production ou à améliorer leur impact environnemental et social. Ces primes visent à rendre l'agriculture plus compétitive et durable, tout en soutenant la viabilité économique des exploitations agricoles.

En 2022, environ 9000 agriculteurs étaient engagés dans cette voie dans le cadre de diverses démarches, dont 4500 dans les filières alimentaires (élevage et Grandes Cultures). Dans le domaine des Grandes Cultures, les primes filières les plus répandues concernant le « colza bas-GES » servant à la production de biocarburants par des industriels tels que la démarche OleoZE Saipol.

Il est important de noter qu’à date, ces primes existent plutôt là où il est possible pour les industriels d’une filière, de valoriser auprès de leurs clients cette matière première respectant un cahier des charges spécifique via un premium de prix sur leur produit.

De plus, il y a une incitation croissante de la part des industriels de l’agroalimentaire à mettre en place des primes filières bas-carbone sur les matières premières des produits qu’ils transforment. En effet, cela leur permettra à terme de sécuriser un approvisionnement en produits agricoles à faible empreinte carbone pour réduire leur propre empreinte carbone. L’amont agricole fait en effet partie de ce qu’on appelle le « scope 3 » de leur empreinte carbone, qui représente la majorité de leur bilan carbone.

Quelques exemples de primes filières

Industrie agroalimentaire : Panzani

Panzani a lancé une filière de blé responsable français (BRF) en novembre 2018.

Les 3 engagements de la filière :

  • Blé dur 100% français d‘ici à 2025 (95% en 2019) ;
  • Préserver la biodiversité, d’ici à 2025 - 1000ha de bandes fleuries et 5000 perchoirs à oiseaux ;
  • Aider les agriculteurs et préserver la filière française (contrat pérenne sur 3 ans avec prix plancher décorrélé des marchés +  prime à hauteur de 20 euros la tonne de blé)

Ce sont plus de 800 agriculteurs partenaires engagés en 2022 et l’objectif est d’atteindre les 3000 en 2025.

La Culture Raisonnée Contrôlée (CRC)

Logo CRC
Logo CRC

Cette initiative, née en 1990, est particulièrement intéressante d’un point de vue de sa gouvernance. Elle repose sur un ensemble d'acteurs collaborant pour promouvoir des pratiques agricoles durables et contrôlées. Elle combine la réglementation, la certification indépendante et l'engagement volontaire des agriculteurs, le tout encadré par un soutien institutionnel et associatif.

La chaîne de production et de distribution dans le cadre de la CRC implique plusieurs acteurs clés : les agriculteurs, les organismes stockeurs, les meuniers, les industriels et les distributeurs. Les agriculteurs, sélectionnés par leurs organismes stockeurs (c’est-à-dire les coopératives agricoles ou les négoces), sont responsables de la production des matières premières CRC, tandis que les boulangers sont choisis par leurs meuniers.

Ces différents acteurs sont regroupés au sein d'un Groupement d'Intérêt Économique (GIE), une structure qui facilite la collaboration et la coordination entre eux. Au sein de ce GIE, les rôles de chaque acteur sont clairement définis :

  • Organismes Stockeurs (coopératives, négoces) : Ils gèrent la production des matières premières agricoles CRC ;
  • Meuniers : Intervenant dans la première transformation, ils transforment le blé CRC en farine ;
  • Industriels : Ils s'occupent de la deuxième transformation des matières premières CRC, fabriquant des produits tels que des biscuits, des viennoiseries et d'autres produits (par exemple des buns de burgers) ;
  • Distributeurs : Ils mettent à disposition des consommateurs les produits finis CRC soit directement dans leurs magasins, soit dans les rayons des points de vente.

Les chiffres clés de la filière Culture Raisonnée Contrôle (CRC) - Source : CRC
Les chiffres clés de la filière CRC - Source : CRC

Il existe aujourd’hui des cahiers des charges pour 4 céréales (le blé tendre, blé dur, seigle et grand épeautre) ainsi que le sarrasin. Pour le blé tendre CRC par exemple, une prime aux environs de 21€ la tonne est reversée aux organismes stockeurs (coopératives et négoces) qui la partagent ensuite avec leurs agriculteurs (en moyenne, l’agriculteur bénéficie d’une prime qui varie entre 12-15€ la tonne de blé certifié)..

III - Les Paiements pour Services Environnementaux (PSE)

Les « paiements pour services environnementaux » (PSE) sont un concept économique dont le principe consiste à rémunérer des agents pour les services environnementaux qu’ils rendent à d’autres agents. En agriculture, les PSE sont des dispositifs qui rémunèrent les agriculteurs pour des actions qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes dont la société tire des avantages (les  services environnementaux). Comme l’illustre le graphique ci-dessous, les services environnementaux concernent par exemple la protection des sols, la qualité et la consommation de l’eau, la séquestration du carbone… L’objectif est donc de rémunérer l’agriculteur pour des services habituellemet non valorisé.

Principe d'un PSE en agriculture
Schéma illustrant le concept de PSE - Source : site Actu-Juridique

Il est intéressant de noter qu’au-delà de l’initiative du gouvernement, il existe déjà un certain nombre de mécanismes PSE non rattachés directement au Ministère de la Transition Ecologique. Ces initiatives PSE sont portés par des initiatives européennes (Interreg), des chambres d’agricultures ou des initiatives de recherches (CDC biodiversité) et les financeurs sont aussi plus variés que dans le cadre des PSE du Pan Biodiversité.

Les PSE du Plan Biodiversité

En 2020, le gouvernement lance son propre mécanisme de PSE dans le cadre du Plan Biodiversité destinés aux agriculteurs en y allouant un budget initial de 150 millions d’euros.  Ces PSE concernent les surfaces agricoles (gestion des systèmes de production agricole) ou les surfaces non agricoles (structures paysagères) comportant des Infrastructures Agroécologique (haies, mares, arbres etc..).

L’objectif de ce programme est d’influer sur les 3 enjeux environnementaux suivants : la préservation de la biodiversité, le changement climatique et la préservation de l’eau.

PSE du Plan Biodiversité
Fonctionnement et enjeux des PSE du Plan Biodiversité - Source : site du Ministère de la Transition Ecologique

1) Gouvernance - Budget

Le budget du MTE est reparti entre les six différentes Agences de l’Eau présentes en France métropolitaine. Elles lancent ensuite des appels à projets au sein de leurs territoires (en fonction des différents bassins et enjeux hydrologiques) et sélectionnent les différents porteurs de projet territoriaux (maître d’ouvrage).

Le rôle des porteurs de projets territoriaux est central :

Après avoir défini le projet territorial (territoire, indicateurs permettant de caractériser les performances environnementales des exploitations, seuils, …), ils mettent en place une animation territoriale et permettent un accompagnement des agriculteurs. Ils sont ainsi responsables de l’instruction des dossiers individuels d’aides déposés par les agriculteurs, contractualisent avec ces derniers et assurent le paiement des aides aux agriculteurs en s’assurant des contrôles. En d’autres termes, ils sont les intermédiaires clés entre les agriculteurs, le projet et les Agences de l’Eau.

Carte des PSE - Plan Biodiversité
Carte des différents territoires des PSE du Plan Biodiversité - Source : site du Ministère de la Transition Ecologique

2) Rémunération : une obligation de résultat

Les « fournisseurs » de services environnementaux visés par le dispositif sont donc les exploitations agricoles qui passent un contrat pendant 5 ans avec la collectivité. Les porteurs de projets dressent une liste d’indicateurs permettant de caractériser la performance environnementale des exploitations engagées, et de calculer une rémunération annuelle en fonction du niveau atteint par une exploitation pour chacun des indicateurs.

La logique de rémunération est, comme l’exige la référence à la notion de services environnementaux, fondée sur l’atteinte de résultats observés et non sur la mise en œuvre de moyens. La philosophie diffère donc des MAEC, qui s’appuient elles sur une obligation de moyens. La fourniture de services environnementaux est ici ce qui légitime les paiements, et permet de calculer le montant de la rémunération.

Les aides octroyées en tant que PSE sont des aides versées à la surface (€/ha)

La rémunération porte autant sur l’existant (pour les services rendus) que sur la transition que sur les services qu’elle va permettre de rendre).

Exemples de deux projets PSE :

Exemple : 1 de PSE (Paiement pour Service Environnemental)
Projet PSE dans le cadre du Plan Biodiversité

Exemple : 1 de PSE (Paiement pour Service Environnemental)
Projet PSE financé par le programme européen Interreg

3) Tour d’horizon des projets

A date de début mars 2024, ce sont près de 172 projets qui sont répertoriés sur la plateforme du MTE.

Ils se répartissent sur l’ensemble des 6 bassins hydrologiques en France, chacun rattachés à une Agence de l’Eau :

  • Loire-Bretagne : 58
  • Rhône-Méditerranée-Corse : 35
  • Adour-Garonne : 30
  • Rhin-Meuse : 21
  • Artois-Picardie : 13
  • Seine-Normandie : 15

On peut constater que c’est l’Agence Loire-Bretagne qui comptabilisent le plus de projets avec près d'un tiers des projets. Cette surreprésentation peut s'expliquer en raison des problèmes de lessivage des nitrates et d’eutrophisation des cours d’eau de la zones, premiers responsables des algues vertes qui polluent les plages bretonnes par exemple.

Projets PSE en fonction des enjeux qu’ils soutiennent :

  • Concernant l’eau : 168/172
  • Concernant la biodiversité : 113/172
  • Concernant climat : 63/172

En s’intéressant aux enjeux sous-jacents des différents Services Environnementaux, on remarque, sans surprise, que c’est la préservation des ressources en eau qui est le plus représenté avec près de 98% des projets. En revanche seulement 37% des projets permettent une atténuation du changement climatique. Toutefois, il existe d’autres mécanismes de financement d’une agriculture bas-carbone, avec pour objectif principal de décarboner le secteur agricole français (qui représente 19% des émissions françaises ), c'est le cas du Label bas-carbone.

IV - Le Label bas-carbone : un crédit carbone agricole pour flécher la contribution carbone volontaire des entreprises vers la transition agricole

Présentation du Label bas carbone

Jusqu’à présent, nous avons abordé différents leviers qui encouragent et récompensent les pratiques agricoles vertueuses pour l’environnement. Que ce soient des initiatives européennes, avec l’éco-régime, des initiatives directement impliquées au sein de filières agroalimentaires comme les primes filières ou les mécanismes des PSE, ces leviers évaluent et rémunèrent des pratiques déclarées par l’agriculteur ou des résultats via des indicateurs.  Le dernier outil, le Label bas-carbone, épouse une philosophie différente : il récompense des changements de pratiques, quels que soit le point de départ et le point d’arrivée. Ce qui compte, c’est le degré d’amélioration de la situation actuelle.

Créé par le Ministère de la Transition Ecologique en 2018, c’est le premier cadre de certification et de labellisation nationale de projets bas-carbone en France. L’objectif est d’encourager les initiatives de contribution carbone, aussi appelée compensation carbone, sur le territoire français. Le Label bas-carbone propose des projets cadrés, reposant sur des méthodes de calcul scientifiquement robustes : 1 tonne équivalent CO2 évitée ou séquestrée dans les sols correspond à 1 crédit carbone. Acheter des crédits carbone certifiés par le Label bas-carbone permet aux entreprises de ne pas tomber dans le greenwashing (exemple de greenwashing – acheter des crédits carbone low-cost issus de projets peu contrôlés, avec des porteurs de projets parfois peu scrupuleux, à l’autre bout du monde sans fournir aucun effort pour réduire ses propres émissions).

Le Label bas-carbone s’inscrit dans le cadre de la Stratégie Nationale Bas Carbone, la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Se déployant sur plus de 15 méthodes différentes, principalement dans le secteur forestier et agricole, l’initiative offre un cadre de financement innovant. En particulier, la méthode grandes cultures vise à participer au financement de la transition bas carbone des exploitations agricoles en grandes cultures (céréales, oléagineux, protéagineux, cultures industrielles mécanisées, légumes de plein champ, lin et chanvre).

Ces crédits carbone agricoles financent des changements de pratiques culturales à travers des crédits carbone : diversification des cultures, introduction de couverts végétaux, réduction du travail du sol, changement de forme d’engrais, substitutions d’engrais chimiques par des engrais organiques, restitution des résidus de culture au sol. Toutes ces pratiques génèrent un stockage de carbone additionnel ou une réduction d’émission, qui est modélisé selon la méthode de calcul du Label bas-carbone par des acteurs spécialisés dans le diagnostic carbone agricole et l’accompagnement agronomique, administratif et financier comme ReSoil. C’est en effet dans ce cadre que ReSoil, composé d’une équipe agronome, travaille en direct avec les agriculteurs pour leur permettre de choisir les bons leviers bas carbone adaptés aux spécificités de l’exploitation, et de les aider à financer ces leviers grâce aux crédits carbone générés et reconnus par le Label bas-carbone après le passage d’auditeurs indépendants. Ces crédits carbone sont vendus par ReSoil à des entreprises engagées qui mettent en place une stratégie climat ambitieuse : réduction de leur empreinte carbone, et contribution à la neutralité carbone en finançant des puits de carbone agricoles sur leur territoire.

V - Ces différents mécanismes de financement suffisent-ils à compenser le coût de la transition agricole ?

Quel est le coût de la transition agricole ?

En modélisant les implications des changements de pratiques, nous avons chez ReSoil estimé le cout moyen d’une transition agricole vers des pratiques dites « régénératrices » : il se situe entre 60 et 140 euros par hectare et par an.

Cette fourchette est large car elle comprend des différences d’intensités dans les changements de pratiques, en fonction du matériel agricole à acheter ou non, du cout des engrais et du prix de vente des cultures – il y a un manque à gagner à diversifier les cultures car les légumineuses sont moins valorisées aujourd’hui que les céréales, ou encore du cout des semences et du temps supplémentaire en augmentant les couverts végétaux. A quoi comparer ce cout supplémentaire par rapport aux sources de financement disponibles ?

Ce coût de la transition prend déjà en compte l’existence de l’éco-régime de la PAC, il s’agit donc d’un coût supplémentaire. En effet, selon un article de chercheurs de l’INRAE publié en 2022, qui s’intéresse à l’éligibilité des exploitations françaises aux aides de l’Ecorégime de la PAC, la quasi-totalité (~99%) des exploitations agricoles françaises ont déjà accès au niveau CE2+ de la voie de la certification environnementale sans modifier leurs pratiques agricoles actuelles. 38% aurait déjà accès au niveau supérieur de l’éco-régime, toujours sans faire évoluer leurs pratiques.

Ainsi, au regard du coût de la transition, la différence de paiement de 22 euros par hectare entre le niveau de rémunération standard (60 euros), que l’intégralité des agriculteurs perçoit, et le niveau d’ambition supérieur (82 euros) n’est pas suffisante pour amortir les coûts qu’engendreraient des changements de pratiques.

Chez ReSoil nous pensons que la clé pour une agriculture durable est de développer des primes filières bas-carbone sur des critères environnementaux précis cumulés à un financement par crédit carbone.

Il est donc clé de cumuler les différentes aides de la PAC (éco-régime et aides couplées), primes filières et crédits carbone pour permettre de financer la transition agricole en faisant attention au double comptage notamment entre les primes filières bas-carbone et les crédits carbone. Les MAEC (qui ne représente que 6% de la surface agricole française) et les PSE ne sont pas éligibles pour toutes les exploitations, ces mécanismes de financement sont souvent restreint sur des zones géographiques spécifiques par exemple en fonction des conditions hydrogéologiques des différents bassins français.

Ces trois leviers s’appuient sur des principes et des moyens de financement tous différents. Il est donc tout à fait possible qu’un agriculteur décide de changer ses pratiques en passant par le Label bas-carbone et la contribution carbone, afin de toucher les aides supérieures de la voie de la certification de l’éco-régime tout en adaptant son cahier des charges à une prime filière. L’agriculteur reste éligible aux crédits carbone, tant que le principe d’additionnalité est respecté : cela signifie que sans les crédits carbone, le projet n’aurait pas lieu car il ne serait économiquement pas viable. En calculant le coût de la transition, il est possible de montrer que les aides PAC et les primes filières, qui vont concerner certaines cultures sur une partie de l’exploitation uniquement, ne couvrent pas celui-ci. Il y a donc bien additionnalité, c’est le financement par crédits carbone qui incitera l’agriculteur à adopter des pratiques agricoles plus durables, en lui permettant d’amortir les couts associés.

L’autre enjeu majeur consiste à préciser le cahier des charges des primes filières : il faut que celui-ci repose sur des indicateurs précis, factuels et soit construit dans une logique environnementale. Grâce aux données anonymisées issues de nos diagnostics carbone, ReSoil aide les acteurs agroalimentaires à mesurer l’empreinte carbone de leur amont agricole (en kg éq.CO2/tonne de production), et à co-construire des primes filières bas-carbone avec les autres acteurs de la filière (organisme stockeur, 1ère transformation, 2nde transformation et distributeur)

Vous êtes un acteur agroalimentaire et souhaitez en savoir plus sur nos instruments de mesure de votre scope 3 amont agricole ? Consultez notre page dédiée.

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