Tout comprendre sur la loi EGalim et les revendications des agriculteurs la concernant

14 février 2024

par
Lise
Le Premier ministre Gabriel Attal, s’exprimant sur une exploitation de Montastruc-de-Salies, en Haute-Garonne, le 26 janvier 2024
Le Premier ministre Gabriel Attal, s’exprimant sur une exploitation de Montastruc-de-Salies, en Haute-Garonne, le 26 janvier 2024 (Source : AFP, Medina Miguel)

Introduction

Lorsque les manifestations agricoles grondent ce 18 janvier, ce sont les inquiétudes des agriculteurs français pour leur avenir qui s'expriment.

Les manifestation agricoles ont diverses origines : réglementations environnementales, conditions de vie et accords internationaux économiques
Les manifestation agricoles ont diverses origines : réglementations environnementales, conditions de vie et accords internationaux économiques (©ReSoil, 2024)

Faisons un rapide tour d'horizon des sources de mécontentements agricoles :

  • Tout d’abord, le gouvernement proposait la suppression progressive de l’exonération de la taxe sur le gasoil non routier (GNR) utilisé par les agriculteurs pour leurs engins agricoles. Ainsi, cette mesure environnementale devait engendrer une augmentation des charges agricoles.
  • De plus, un nouvel accord de libre échange avec la Nouvelle-Zélande a été ratifié en fin d'année 2023. Celui-ci supprime les droits de douanes pour les importations en Union Européenne de produits en provenance de Nouvelle-Zélande notamment la viande rouge et les produits laitiers. En contrepartie, l'accord prévoit une suppression des droits de douane néo-zélandais, cette taxe s'élevait à 5%, sur les importations en provenance de l’Union Européenne notamment les principaux produits étant la viande porcine, vin et vin mousseux, chocolat, confiserie et biscuits… Certains professionnels français du milieu parlent alors de concurrence déloyale car les produits de l’Hexagone, respectant un cahier des charges plus complexe, sont vendus plus chers et sont souvent moins consommés par les Français. Un nouvel accord de libre échange potentiel était aussi au devant de la scène médiatique ces derniers jours : l'accord de libre-échange UE-Mercosur. Le Premier ministre a néanmoins insisté auprès des agriculteurs que la France ne le signerait pas.
Vrai ou Faux ? En 2023, un peu moins de 50% des volailles et 25% des gros bovins consommés en France sont importés ? - VRAI
  • Par ailleurs, certaines personnes affirmaient que la BCAE 8 (bonnes conditions agricoles et environnementales) de la nouvelle PAC 2023-2027, imposait de réserver 4% de SAU en jachères. Ces terres inexploitées feraient alors perdre jusqu'à 4% du chiffre d'affaires selon certains syndicats agricoles. Vrai ou Faux ?
FAUX :  La réglementation imposée par le gouvernement évoquait 4% d’infrastructures agro-écologiques, ce qui concernait donc les terres en jachères MAIS AUSSI les haies, arbres isolés ou alignés, mares, bosquets, murets, bandes tampons, etc.. En somme tous éléments favorables à la biodiversité.
  • Enfin, les agriculteurs accusaient les acteurs de le grande distribution de ne pas respecter les lois EGalim. Ainsi, certains agriculteurs n'étaient pas rémunérés dignement pour leur travail, alors que le prix d'achat des produits alimentaires en magasin lui augmentait pour le consommateur. Ce sont donc les conditions de vie de ceux qui nous nourrissent qui se dégradent expliquant également l'exode agricole récente. Vrai ou Faux ?
VRAI : Selon l’INSEE, presque 1 agriculteur sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté en 2023. Marine Raffray, l’agro-économiste de la Chambre d’agriculteur France explique que pour 100€ de dépenses alimentaires du consommateur français, 6€ reviennent à l’agriculteur.

Cet article se concentrera sur ce dernier élément à l'origine des manifestations agricoles : les lois EGalim.

1. Contexte de l'émergence des lois EGAlim

Pour se nourrir, le consommateur peut acheter ses produits alimentaires via différents canaux de distribution : on distingue dans le schéma ci-dessous le circuit court vs. le circuit long.

Les consommateurs s'approvisionnent en circuit court (directement auprès de l'agriculteur) ou en circuit long (en faisant intervenir les intermédiaires de l'agro-industrie).
Les consommateurs s'approvisionnent en circuit court (directement auprès de l'agriculteur) ou en circuit long (en faisant intervenir des intermédiaires) - ©ReSoil, 2024

Les acteurs qui gravitent dans l’univers agricole et agro-alimentaire sont multiples :

  1. Circuit court direct

La matière première est produite par l’agriculteur (ex : du lait) et elle peut être transformée sur la ferme (ex : fromage).

L'agriculteur peut décider de vendre son produit brut ou transformé à son client final en circuit court en vente directe. Les points de ventes sont nombreux, que ce soit au magasin de producteur, au marché, à un système d'AMAP (abonnement périodique de paniers composés de produits de la ferme) ou à La Ruche qui dit Oui (achat d’un panier sans obligation d’abonnement périodique), etc.

A noter toutefois que pour certaines productions, il est plus complexe de fonctionner en circuit court, car la transformation nécessite un savoir-faire et demande des investissements conséquents. Elle implique aussi un volume suffisant de matières premières pour amortir ces investissements.

  1. En circuit long
  • Les producteurs échangent avec des organismes stockeurs : coopératives (constituées uniquement d’agriculteurs) ou négoces (acteurs privés) qui achètent la matière première ;
  • Ces acteurs revendent la matière première amoncelée à des industries agro-alimentaires qui transforment via une ou plusieurs étapes (on parle alors de 1ère transformation et 2nde transformation) cette matière en produits finis (ex : barre de céréales) ;
  • Les centrales d’achats achètent les produits auprès de fournisseurs puis revendent les denrées à leurs adhérents (notamment les distributeurs). En achetant de gros volume, les centrales d'achats peuvent facilement négocier les prix ;
  • Les distributeurs sont les grandes et moyennes surfaces (GMS) auprès desquelles le consommateur final peut acheter ses produits alimentaires ;

La première loi EGAlim naît dans un contexte de rapport de force déséquilibré entre les ~390 000 agriculteurs français, les 15 000 industries agro-alimentaires et les quelques distributeurs regroupant 92% de la distribution (Intermarché, Casino, Carrefour et Provera - la centrale d'achat du Groupe Louis Delhaize notamment les enseignes Cora, Match et Houra).

Cette première loi EGAlim est votée en octobre 2018, la deuxième en 2021 et la dernière EGAlim 3, fin mars 2023.

Succinctement  la loi EGAlim 1, aussi appelée “loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous” est issue des Etats généraux de l'alimentation. Elle a trois grands objectifs :

  1. Rémunérer justement les producteurs, pour leur permettre de vivre dignement de leur travail ;
  2. Réduire l’utilisation du plastique dans le domaine alimentaire et renforcer les engagements sur le bien-être animal ;
  3. Favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous.

2. Restauration collecte & lois EGAlim

Le gouvernement définit 5 grandes mesures à la loi EGAlim pour tendre vers une alimentation de qualité et durable :

  • Des approvisionnements plus durables et de qualité ;
  • Des actions visant à réduire le gaspillage alimentaire ;
  • Une diversification des sources de protéines ;
  • La fin de l’utilisation de contenants et ustensiles plastiques ;
  • L’informations des convives.

En clair, l’application de ces principes passe par :

  • Remplacer les plastiques à usages uniques (ex : touillettes, les couverts, les assiettes, les verres en plastique) par du recyclables ou/et réutilisables (ex : bouteilles en verre, couverts en inox, pailles en bambou) ;
  • Remplacer les bouteilles d’eau en plastique par des fontaines à eau ;
  • Limiter le gaspillage alimentaire dans les établissements en faisant des dons des denrées alimentaires non consommées. La loi interdit désormais de les rendre impropres à la consommation. L’ADEME estime qu’un restaurant de 800 lycéens gaspille plus de 24 tonnes par an, soit 40 000 repas servis ;
  • Garantir l’utilisation de produits de qualité : Les restaurants collectifs publique ont l’obligation d’intégrer un menu végétarien par semaine et d’utiliser, à partir du 1er janvier 2022, au moins 50% de produits durables et de qualité dont au moins 20% de produits issus de l’agriculture biologique. La qualité est caractérisée par des produits Label Rouge, d’appellation d’origine (AOC, AOP), une indication géographique (IGP), spécificité traditionnelle garantie (STG), Haute valeur environnementale (HVE), pêche durable, commerce équitable, avec la mention “fermier”, etc. Le changement de pratique est long à se mettre en place, car la moyenne nationale atteint en 2022 seulement 7% de produits issus de l’agriculture biologique. Selon, les experts de ce marché, cela semble dû un manque de contrôle de l'application de ce principe chez les acteurs de la restauration collective.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) vient en renfort de la loi EGAlim dont ses objectifs sont principalement de réduire l’utilisation de plastique. Ceux-ci se déclinent en trois idées phares : d’ici 2025 réduire de 20% les emballages à usages uniques, réduire de 100% les emballages plastiques “inutiles”, tendre vers 100% de recyclage d’emballages plastiques à usage unique.

3. Une juste rémunération des agriculteurs & lois EGAlim

a. Loi EGAlim 1 (30 octobre 2018)

La loi EGAlim 1 avait pour objectif de rémunérer plus dignement les agriculteurs des champs français et répartir de manière plus équilibrée les marges et valeurs ajoutées entre producteurs, transformateurs et GMS. Ainsi les mesures mises en places permettent de :

  • contraindre les supermarchés à réaliser une marge d'au moins 10% sur les produits alimentaires. Ainsi les produits alimentaires ne peuvent être vendus au prix coûtant ou avec un surcoût inférieur de 10%. L’objectif théorique est d’éviter qu'en resserrant excessivement leurs marges, les distributeurs ne soient tentés d'exercer une pression supplémentaire sur les industriels et les producteurs ;
  • plafonner les promotions à 34% de la valeur du produit et à maximum 25% du volume de vente. En effet, 22% du chiffre d’affaires des grandes surfaces sont issus de promotion, c’est pourquoi la loi EGAlim encadre les “promotions” et interdit le terme “gratuit” apposé aux produits ;
  • procéder à l'inversion de la construction des prix. Ainsi les contrats et prix associés, destinés aux transformateurs et aux acteurs de la distribution, seront proposés par les agriculteurs en prenant en compte des indicateurs des coûts de production. Pour peser dans les négociations, les agriculteurs peuvent se regrouper en organisation de producteurs ou renforcer les interprofessions. Néanmoins aucune sanction n’était prévue en cas de non respect des contrats par les distributeurs.

b. Loi EGAlim 2 (18 octobre 2021)

Comme le montre l’infographie ci-dessous réalisée par la Fondation pour la nature, la loi EGAlim 1 n’a eu que peu de retombées sur la rémunération des agriculteurs. En réhaussant le seuil de revente à perte à 10%, cela a entrainé une augmentation des prix de vente mais pas des revenus d'agriculteurs. Ainsi, deux nouvelles versions de cette loi ont vu le jour.

Evolution du montant de la marge brute réalisée par chaque acteur sur un litre de lait demi-écrémé entre 2001 et 2022
Evolution du montant de la marge brute réalisée par chaque acteur sur un litre de lait demi-écrémé entre 2001 et 2022 (Source : Fondation pour la nature)

La loi EGAlim 2 prévoit en 2021 de durcir les mesures initiées dans la première version.

  • Elle rend "non négociable", entre l'industriel et le distributeur, la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles. Ainsi il ne peut plus y avoir de négociation sur le prix de la matière première agricole par les acteurs de l’aval, mais toujours négociation entre le producteur et son acheteur ;
  • Suite au rapport Papin (du nom de l'ancien PDG de la chaîne de grande distribution Super U) commandé par le Gouvernement sur l'impact de la Loi EGAlim 1, la deuxième version renforce la transparence des prix avec la généralisation des contrats écrits entre l'agriculteur et l'entreprise qui transforme ses produits, sur trois ans minimum. Le prix prend en compte les coûts de production de l’agriculteur et met en place un tunnel de prix permettant une révision automatique de celui-ci. Il s’agit de fixer une borne minimale ou maximale ;
  • Elle a rendu obligatoire l'indication du pays d'origine pour les produits agricoles et alimentaires ;
  • Le "rémunéra-score" est lancé comme test pour indiquer au consommateur la part de rémunération agricole pour chaque produit. Ce test en viande bovine a peu fonctionné ;

c. Loi EGAlim 3 (du 30 mars 2023)

La dernière version de la loi EGAlim, adoptée fin mars 2023, est aussi appelée loi Descrozaille, du nom de son rapporteur Frédéric Descrozaille. Son objectif : "corriger le déséquilibre entre les parties fournisseurs et distributeurs" ;

  • Elle prolonge jusqu’en 2026 et 2025 respectivement les mesures de la loi EGAlim 1 concernant les promotions (34% de la valeur et 25% des volumes de vente) et la marge minimale de 10% pour les ventes à pertes ;
  • Elle a également étendue l'interdiction des négociations sur le coût de la matière première agricole de la loi EGAlim 2 aux produits de marque de distributeur (ex : Reflets de France pour Carrefour, Marque Repère pour Leclerc) ;
  • Enfin, la nouvelle version de la loi oblige aux industriels et aux supermarchés de trouver un accord pour la révision des prix d’achats avant le 31 janvier de chaque début d'année (vs. avant le 1er mars de chaque année comme c'était le cas avant Egalim 3). De plus, Egalim 3 abroge une spécificité dans les négociations entre distributeurs et industries agroalimentaires qui permettaient aux distributeurs de continuer à payer les produits à l'ancien tarif le temps de trouver un terrain d’entente, et ce même si les coûts de production pour les industriels avaient augmenté. Les distributeurs utilisaient alors cette spécificité comme un levier de négociation à leur avantage.

Récapitulatif de l'évolution des trois lois EGAlim (©ReSoil, 2024)
Récapitulatif de l'évolution des trois lois EGAlim (©ReSoil, 2024)

4. Les limites des lois EGAlim

1. Complexités et dérives

La loi EGAlim 1 a contraint en volume et en valeur les “promotions”. Néanmoins certains distributeurs ont contourné cette réglementation en remplaçant le terme “promotion” par “prix chocs” ou en appliquant des remises aux clients bénéficiant de la carte de fidélité du magasin. De même, pour le terme “gratuit” qui était interdit, il a pu être dérivé en “gratis” ou “offert”.

De plus, certains produits étaient touchés par la réglementation EGAlim et d’autres non. Par exemple les asperges fraîches étaient exemptées, contrairement à celles surgelées. Ainsi, cela a rajouté de la difficulté de compréhension et d'application de la loi.

La nouvelle loi impose d’indiquer dans les conditions générales de vente le coût de la matière première, voire de chacune des matières premières pour chaque produit. Représentant un gros travail pour les entreprises qui commercialisent des milliers de références, certains fournisseurs préfèrent globaliser le coût des ingrédients agricoles.

2. Lois EGAlim suite aux manifestations agricoles

A la suite des manifestations agricoles, Gabriel Attal a annoncé que de lourdes sanctions seraient appliquées à l’encontre des distributeurs en cas de non respect des lois EGAlim. Le premier ministre a garantit que l’ensemble des grandes chaînes de supermarchés seraient inspectées dans les jours qui ont suivi ses annonces de janvier, avec notamment plus de 10 000 contrôles sur l’origine française de produits. Les sanctions iront jusqu’à 10% du chiffre d’affaires des industriels ou distributeurs en faute. Nous verrons si au-delà de l'effet d'annonce ces sanctions seront effectivement appliquées à l'avenir.

Enfin, le premier ministre a annoncé il y a quelques jours une quatrième version de la loi EGAlim pour cet été, avec pour principaux points :

  • une construction du prix en marche avant (entre les producteurs et industriels)
  • un indicateur de coût de production centralisé
  • une proscription de l’utilisation des centrales d'achats européennes, utilisées jusqu’à présent par certains distributeurs pour contourner la loi française.

C’est somme toute une loi EGAlim au niveau européen qui se profile.

Conclusion et implication de ReSoil pour un revenu digne des agriculteurs

Ainsi, les manifestations agricoles au cœur de la scène médiatique de fin janvier 2024 ont permis de mettre en lumière les conditions insuffisantes de rémunération des agriculteurs. Le renforcement des contrôles et le gain de précision de la loi EGAlim devraient permettre aux agriculteurs de reprendre en partie la main sur la guerre des prix qui faisait rage entre producteurs et transformateurs/distributeurs. Une condition néanmoins primordiale pour que cela se réalise est que les contrôles soient réalisés pour s'assurer de la bonne application de la nouvelle loi EGAlim 3.

ReSoil permet d’accompagner financièrement et agronomiquement les agricultrices et agriculteurs français dans la transition écologique de leur ferme. Grâce au Label bas-carbone, les changements de pratiques agricoles s’intégrant dans la transition environnementale peuvent être valorisés financièrement. En plus de rémunérer la transition, ReSoil travaille à pérenniser la juste rémunération des pratiques agricoles vertueuses. Nous accompagnons les acteurs agricoles - agriculteurs, organismes stockeurs (coopératives, négoces) et industriels agroalimentaires - dans la co-construction de filières alimentaires bas-carbone valorisant les pratiques vertueuses des agriculteurs. Cette valorisation se fait via un mécanisme de prime filière bas-carbone offrant un premium de prix d'achat de leur production (en €/tonne de production).

Accompagnement financier par ReSoil pour la transition écologique agricole française
Accompagnement financier de ReSoil pour la transition écologique agricole française (©ReSoil, 2024)

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